Le chemin initiatique de l'Arbre de Vie.
1ère étape
Sortir de l’illusion
Il faut tout d’abord rentrer dans le Malkout, il faut rentrer dans le royaume, c’est-à-dire qu’il faut comprendre que le monde est un royaume. Ce qui veut dire que le monde est compréhensible, qu’il est cohérent. L'univers dans lequel nous vivons a un sens, il a une bonne raison d'exister et il a une certaine logique. Il faut adopter ce point de vue parce qu'évidemment, si nous considérons que nous vivons dans un monde absurde, immense bazar où il n'y a aucune logique, où rien n’a aucune raison d’exister nous n’irons pas bien loin, on tournera en rond autour de son nombril. Il faut s’approprier l'idée que le monde est un royaume et que ce royaume existe par la volonté d'un Roi, qui n’est pas une personne pour autant, C’est le premier principe : sortir de l'illusion et de l'apparence. Je suis sur un chemin qui va me montrer que cette apparence n'est jamais que la manifestation de quelque chose de beaucoup plus profond, de beaucoup plus fort.
Être dans Malkout, pour prendre une référence moderne, celle de la philosophie existentialiste de Sartre ou de Camus, c’est un peu comme vivre dans le monde de l’absurde, c’est la condition humaine, de l’ « être-au-monde » humain[1].
2ème étape
Dépasser la matérialité
Je sors de Malkout et je rentre dans la deuxième Séphirah, Yésod qui est le fondement. Quel est le fondement de ce monde dans lequel je vis ? Qu’est-ce qui est le plus ultime ? Les matérialistes diront que c'est la matière. Mais il y a autre chose que la matière. Il y a la matière, c'est vrai, mais cette matière obéit à des lois. D'où viennent les lois ? Les lois de la physique ne sont pas matérielles, elles forment quelque chose qui est une logicité immatérielle. Donc la deuxième étape, c'est le dépassement de la matérialité. Le Royaume représentait l'univers réel comme un Tout-Un accessible aux sens humains, mais cet univers réel vient de quelque part. Son organisation n'est pas le fait du (seul) hasard. Quelle est sa raison d'exister ? Il s'agit, comme Alice, dans Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, de passer de l'autre côté du miroir : du Royaume au Fondement même de ce Royaume.
Nous pouvons rapprocher cette deuxième étape de toutes les intuitions philosophiques, mystiques ou littéraires ayant pour thème le passage dans un autre monde. Citons le mythe d’Orphée, ou encore la Divine comédie de Dante.
3ème étape
Viser l'intemporalité
On rentre dans Nètza'h, l’éternité. C'est un mot important, c'est l'idée fondamentale qu’au-delà de ce qui change, il existe des fondamentaux qui eux ne changent pas, qui sont dans l'intemporalité. Il faut découvrir cette intemporalité. Tout change, tout se transforme, mais l’idée que tout se transforme est déjà une approche de l'intemporalité, car si tout se transforme toujours, cette loi de la transformation universelle, elle, ne change pas … elle est intemporelle. L'intemporel, c'est au fond le territoire du Divin, c'est là que se placent tous les fondamentaux immuables qui gouvernent la réalité, c'est le lieu des principes ultimes qui font que le Réel est réel, qu'il est ce Réel-ci et non un autre. Depuis toujours, les humains ont rêvé d'immortalité et, puisqu'elle n'est manifestement pas courante dans notre monde, ils se sont inventé d'autres mondes où cette immortalité pouvait se déployer. Mais, spirituellement, l'invention "d'autres mondes", de "l'au-delà", du "monde céleste hors du temps", sont des fuites hors du seul Réel, hors de la Vie réelle qui, par essence, induit la mortalité. Mais au-delà de ce fantasme de l'immortalité personnelle, il y a l'intemporalité impersonnelle que l'initié peut atteindre dans ce monde-ci.
Mais cette éternité est-elle une invention faite pour nous prémunir de l’angoisse générée par le fait que nous sommes mortels ou malheureux dans ce monde ? On sent poindre ici par exemple la critique faite par Nietzsche des théismes (des monothéismes, même) qui glorifient un arrière-monde illusoire permettant de rendre tolérable la condition humaine.
4ème étape
Réduire toutes les distances
Maintenant je quitte Nètza'h, je vais vers Hod, vers la Gloire. Quand j’observe un magnifique coucher de soleil, je me dis que moi, ce petit "moi" dans mon petit coin de l’univers, je suis en train de contempler quelque chose qui est extraordinaire, qui me dépasse tellement ! Chacun est invité à penser que ce que je contemple, n’est pas en dehors de moi, puisque c'est moi qui le vois et que c'est moi qui fais partie de cela. L'idée centrale, alors est de réduire toutes les distances et de bien comprendre que nous sommes, chacun, partie intégrante de quelque chose qui est un Tout organique et vivant. À ce moment-là, J'ai la possibilité de goûter Hod. Hod, c’est donc la gloire, la lumière qui est à l'intérieur de moi et qui est à l'extérieur de moi et qui est la même partout : la Lumière du premier jour de la Genèse.
Regarder et voir non plus avec les "yeux de la chair", mais avec les "yeux de l'âme". Savoir et comprendre ce que les Upanishads indiens disent quand ils affirment Tat tvam as", "Tu es Cela".
5ème étape :
Contempler la beauté
Ensuite on arrive dans Tiphérèt, la Beauté. Ici va se poser une étrange question : pourquoi est-ce que toi, moi, un être humain à peu près normal, sommes-nous fascinés par un coucher de soleil sur l'océan avec ces lumières rouges et oranges, ou par un lever de soleil contemplé du haut d'une montagne, ou pourquoi sommes-nous enchantés en traversant une forêt bruissant de petits murmures ou de ramures qui chantent sous le vent ? Ce chemin initiatique nous réapprend enfin à redécouvrir cette beauté du monde, bien au-delà de la joliesse des êtres et des choses. Je pense que l’un des grands problèmes de notre époque est que beaucoup de gens vivent hors-sol, et ne sont plus capables de percevoir la beauté du réel.
C’est de l’émerveillement que nait tout désir de te connaitre, on le sait depuis Aristote. Si j’ai plaisir à contempler des merveilles qui s’offrent à moi, le champ des étoiles, la majesté des montagnes, ou si j’aime trembler devant des spectacles naturels terrifiants, c’est que je ressens à ce moment que je suis connecté à quelque chose de plus grand que moi, à l’immensité de l’univers.
6ème étape :
Savourer l'équilibre.
Lorsqu’on continue, on rentre dans un autre concept : celui de bonté, Héssèd. Héssèd est une invitation à considérer la notion d’équilibre dans la bonté : quand un repas est succulent, quand un livre est bon, quand un humain est bon, cela signifie que tout y est en équilibre. Un mets est délicieux quand il y a des arômes subtils, des goûts délicats, un savoir-faire de cuisson et de préparation. Il faut apprendre à savourer ces équilibres. Plus généralement, ce sont ces équilibres qui font que le monde puisse être bon qu'un homme puisse être bon. C'est avoir en soi l’équilibre des différents ingrédients qui composent l’humanité, qui rendent cette humanité bonne.
Les humains sont si souvent sur leurs gardes qu'ils en arrivent à ignorer que la réalité est bonne, suave, délectable, qu'elle est douce et favorable à celui qui ne s'oppose pas à elle, mais qui l'accepte telle qu'elle est et telle qu'elle va.
7ème étape :
Avoir conscience de la constructivité.
On arrive maintenant auprès de la Guébourah, qui est la vitalité. La question ici, en regardant le monde, est de se demander d'où vient tout ce qui existe ? Comment le monde a-t-il pu donner lieu à une telle complexité ? Le monde se construit tous les jours, et il est fascinant de complexité. Tous les jours il y a une constructivité qui est en cours, mais cette constructivité m’interroge. Pourquoi le monde se construit-il ? Pourquoi ne reste-t-il pas ce qu’il est ? Pourquoi est-ce qu'il continue à s'élaborer, à se complexifier, à se bâtir ? Pourquoi la création du réel est-elle permanente? Pourquoi y a-t-il toujours une espèce de course en avant pour accomplir quelque chose qui est incroyable ? Guébourah symbolise le Vitalité inhérente au Réel. Au fond, on aurait pu imaginer un Réel parfaitement statique, immuable, parfait dès l'origine, pétrifié dans sa plénitude. Il n'en est pas ainsi ! Tout se transforme tout le temps, tout évolue, tout s'accomplit. Pourquoi ? et pour quoi ? Le mot Guébourah veut dire "vitalité", "fécondité", "virilité" ; il indique cette vérité sensationnelle : le Réel est vivant ! Et comme tout ce qui est vivant, il évolue vers sa propre plénitude, vers son propre accomplissement. Le temps est donc orienté. Il est le chemin entre la généalogie de l'histoire et la téléologie de l'accomplissement.
La vitalité est miraculeuse. Le Réel est vivant et il fait tout ce qu'il faut pour vivre, pour "persévérer dans son être", disait Spinoza, pour s'accomplir en plénitude et en perfection. Nous vivons au centre d'une perpétuelle alchimie. Le monde est notre chantier et ce chantier est un véritable athanor !
8ème étape :
Apprécier les optimalités
Ensuite, on parvient à Hokhmah, la sagesse. Quand j'ai bien mesuré la constructivité du monde je vais me faire cette réflexion : oui le Tout se construit, mais pas n'importe comment. Le réel se construit avec sagesse. Regardons ce Tout de plus près. Regardons les choses ; elles sont équilibrées, elles sont optimales, elles présentent des équilibres et des homéostasies[2] subtiles. Si on les laissait faire toutes seules, les forces en présence engendreraient des monstruosités, alors que ce qui nous entoure, en général, est optimal, est bien fait. Dieu a choisi meilleur des mondes possibles, disait Leibniz.
Mais il ne faut pas avoir de ce meilleur des mondes possibles une vision caricaturale comme dans Candide, où Voltaire fait dire à Pangloss « Tout est au mieux dans le meilleur des mondes » justement pour se moquer de Leibniz. Car, dans le monde, il y a du monstrueux, il y a du mal.
Lorsque Leibniz parle du "meilleur des mondes possibles", il dit deux choses. D'abord que toutes les autres configurations auraient été pires. Ensuite que ce "meilleur" est dans le regard de Dieu et non dans celui des humains : il ne dit pas que le monde est le meilleur pour les humains, il dit seulement que le monde tel qu'il est le meilleur possible vu globalement, même s'il ne convient pas toujours aux microbes que nous sommes.
La voilà, la sagesse : l’invitation à apprécier et à imiter la sagesse divine, indépendamment du petit confort et des petites manies des humains : se dépasser et construire ce qu'il y a à construire, ici et maintenant, accomplir ce qui est accomplissable en soi et autour de soi, avec soin. C’est aussi un des enseignements du livre de biblique de Job.
9ème étape :
Comprendre la rationalité
Nous arrivons à l’avant-dernière étape, Binah : l'Intelligence. Mais encore ? Comprendre l'incroyable : tout à sa bonne raison d'exister, tout ce qui arrive a sa bonne raison d’arriver, il y a de bonnes raisons à tout. Il n’y a rien qui soit le fruit du hasard. Notre monde est un monde qui a sa logique, qui a sa propre intelligence, tout imprégné d'une logicité immanente et universelle. Les Grecs avaient un mot magnifique pour exprimer cela, ils parlaient de Logos. Oui, le monde a son Logos et la première approche du divin, c'est justement de comprendre cette notion de Logos. Il y a un esprit ou une spiritualité ou une intelligence ou quelque chose de cet ordre-là, qui a donné au monde sa rationalité et qui nous permet à nous les hommes de le comprendre. S’il était irrationnel ou incohérent ou absurde ou insensé, nous ne comprendrions rien à rien. Je rappelle ici une phrase célèbre de Hegel qui disait : "Tout ce qui est réel et rationnel ; tout ce qui est réel et rationnel". Eh bien oui, quelque part, il y a une rationalité, une logicité derrière tout ce qui existe et tout ce qui arrive. Pour reprendre une autre expression, "le monde est un édifice qui se construit" et derrière cet édifice, il y a un architecte qui donne les règles du jeu pour que l'édifice tienne debout convenablement et soit magnifique.
Rationalité universelle à ne jamais confondre avec le rationalisme humain. Oui, tout a une raison d'exister et tout ce qui arrive a sa propre logicité, mais quel orgueil de se laisser croire que cette logicité divine puisse n'être que la petite logique des humaines qui tentent de raisonner sans, d'abord, résonner.
10ème étape
Entrer dans la Royauté lumineuse :
Nous voici parvenus à la dernière Séphirah, Kétèr. Quel chemin parcouru, non ? Et face à soi, dans la brillance de la couronne royale, on entre dans la royauté lumineuse. Que signifie-t-elle ? Tout simplement qu'il n'y a pas d'édifice sans architecte, qu’il n’y a pas de monde sans Logos, qu’il n'y a pas de réalité cohérente sans rationalité et logicité et que cette rationalité, cette logicité, cette cohérence, cette architectonie relèvent de quelque chose qu'on a appelé le roi qui se cache derrière la couronne, qui est notre dernier stade initiatique et elle est, cette couronne, extrêmement lumineuse, elle est même la Lumière du premier jour de la Genèse.
"Et Il dira : 'Dieux, une Lumière adviendra' et une Lumière adviendra. (…) jour un."
Entrer dans le Divin, au-delà de tous les mots, de tous les concepts, de toutes les idées, de tous les idéaux. Entrer dans le Divin comme on pénètre dans l'océan, au-delà de toutes les vagues. Devenir vague. Devenir flux. Devenir eau dans l'eau.
Ce chemin initiatique n'a rien de religieux, rien de liturgique ; il est universel. Il passe par dix étapes, par dix voyages, par dix épreuves, par dix victoires sur soi-même.
* * *
[1] Voir Jean-Paul SARTRE, Explication de L’Étranger, in Situations I, 1947.
[2] En biologie, l’homéostasie correspond à la capacité d'un système à maintenir l'équilibre de son milieu intérieur, quelles que soient les contraintes externes. À l'échelle d'un organisme, il s'agit de l'ensemble des paramètres devant rester constants ou s'adapter à des besoins spécifiques, comme la température corporelle, la glycémie, la pression sanguine ou le rythme cardiaque.