Le Tout, l'Un, le Réel
L'humanité a eu bien du mal a trouver un concept métaphysique qui puisse exprimer la totalité du Tout qui existe. Longtemps (et le livre de la Genèse en témoigne), on désigna ce Tout par "le Ciel et la Terre" : le domaine des dieux et le domaines des humains. C'est la vision de Platon avec le domaine des Idées et le domaine des créatures de l'ombre. C'est aussi la vision d'Aristote avec le domaine supralunaire et le domaine sublunaire.
Et lorsqu'on parlait du "monde", c'est surtout du monde humain que l'on parlait soit comme totalité de l'humanité, soit comme totalité terrestre associant les humains et leur écosystème ; le monde était ce sur quoi l'homme peut avoir partiellement prise.
Et ce sur quoi l'humain n'a pas prise, a été nommé la Nature : le Monde humain s'oppose à la Nature, inhumaine ou surhumaine selon le regard.
La grande synthèse vint probablement d'Inde avec le concept de Brahman (un Tout en tant qu'Être éternel) et de Chine avec celui de Tao (un Tout en tant que Devenir perpétuel).
En occident, on resta longtemps (et certains restent encore) dans la dualité "Ciel et Terre" opposant un monde céleste, spirituel et divin à un monde terrestre, matériel et non-divin (soit humain, soit satanique).
Pourtant Newton fut sans doute un des premiers à avoir montré que le monde céleste (celui des astres supralunaires) et le monde terrestre (celui des "pommes" sublunaires) étaient soumis aux mêmes lois physiques et, en conséquence, formaient un Tout au-delà des vieilles dualités.
L'idée d'Univers fit alors son chemin (universus, en latin, signifie "tout entier, tout ensemble, pris en tant qu'unité"). Mais ce mot est infirme car l'univers n'est que la totalité des manifestations phénoménales sans être le Tout en tant que Tout, en tant que noumène radical et absolu.
Il fallait encore que surgisse l'idée de Kosmos c'est-à-dire d'Ordre (kosmos en grec qui est le contraire de chaos) et de cohérence : l'univers phénoménal est visiblement organisé avec ses récurrences et ces régularités.
L'univers exprime donc un Logos (que l'on assimile naturellement à l'Esprit cosmique, à l'Âme cosmique, au Divin, à Dieu, etc …), mais ne comprend pas ce Logos … ainsi le Tout exprime l'Un, mais est bien moins que cet Un.
C'est donc, in fine, ce concept du Un qui exprime le mieux l'idée de totalité absolue de tout ce qui existe, visible et invisible, connaissable et inconnaissable, expérimentable et inexpérimentable … mais ce Un est un concept tellement ouvert que l'on peut y inoculer tous les délires fantasmagoriques les plus magiques, les plus farfelus, les plus grotesques. Il faut donc restreindre le concept du Un pour le ramener à la totalité cohérente de tout ce qui existe vraiment.
C'est en cela que je crois que le concept du Réel est, de loin, le plus adéquat pour parler, d'un seul mot, de la totalité organisée et cohérente de tout ce qui existe vraiment.
Le Réel est l'unité absolue du Tout de l'Univers qui le manifeste, et de l'Esprit qui le structure.
Et, avec le concept de Ma'at, les anciens Egyptiens, déjà, avaient compris le Réel comme processus dynamique (comme "ordre en train de se faire") et non comme ordre statique (des lois et des structures données une fois pour toute). Cette idée fut perdue pendant plus de trois mille ans en Europe (à l'exception d'Héraclite d'Ephèse qui fut étouffé par Parménide et les atomistes).
Enfin, très tôt se posa la question des rapports entre l'Ordre cosmique et l'ordre humain (organisation des sociétés, des pouvoirs, des travaux, etc …). Longtemps deux thèses s'opposèrent. Celle d'un ordre humain devant s'intégrer harmonieusement dans l'Ordre cosmique d'essence et de nature supérieures. Et celle d'un Ordre cosmique maintenu grâce à l'ordre humain, les hommes étant les intendants des dieux dans le monde. L'idée d'une dialectique entre ces deux ordres est toute récente.
Marc Halévy - Le 23/06/2021