Les deux Natures humaines.
Avec l'Amor Fati, Nietzsche appelle à accepter et à assumer lucidement le monde tel qu'il est ici et maintenant, et à s'accepter et à s'assumer soi-même, lucidement, tel que l'on est ici et maintenant ; mais il ne renonce en aucun cas à la mission de construire le Surhumain qui la seule raison d'exister de l'humanité. Cette assomption de la mission est la colonne vertébrale de l'Amor Fati. Il ne s'agit aucunement d'une apologie de la passivité béate, mais bien au contraire de la pleine acception d'une mission surhumaine : contribuer énergiquement à l'accomplissement du Réel.
Je ressens de plus en plus que deux natures humaines cohabitent et divisent l'humanité en deux parties inégales, pour son grand malheur puisque ces grandes natures profondes de l'humain sont largement incompatibles.
La première est celle de l'Alliance avec le Réel, sans béatitude ni naïveté, en pleine lucidité, mais animée par un puissant moteur de rencontre et de fusion avec lui.
La seconde est celle du Salut hors du Réel, par peur, par haine, par dégoût, en quête perpétuelle d'un autre monde, parallèle ou à venir ; car cette seconde nature humaine, fondamentalement sotériologique et/ou eschatologique, se nourrit, le plus souvent, d'une croyance religieuse ou d'une conviction idéologique.
Le première nature humaine se sent "naturellement" bien avec la Vie et avec l'Esprit, avec la Nature et avec les autres ; elle connait la Joie de la relation avec la Vie et l'Esprit (sans pour autant sombrer dans quelque béatitude benête et naïve que ce soit, car la Vie et l'Esprit, la Nature et l'Autre peuvent aussi parfois être toxiques, dangereux, nocifs …).
La seconde nature humaine cultive une sorte de paranoïa généralisée : l'autre, le différent, l'étranger, l'étrange sont forcément dangereux, agressifs, méchants, poussés par un désir permanent de faire mal, de faire le mal, de faire du mal, de causer, partout, tristesse, souffrance et désolation.
La première nature humaine fonde tous les libéralismes.
La seconde fonde tous les fanatismes.
L'Alliance est une ouverture, une confiance donc une Foi.
Le Salut est une fermeture, une défiance donc une diabolisation.
Reconnaître le même dans l'autre ou, au contraire, refuser le même dans l'autre.
Communion (au-delà des différences qu'il est ridicule de nier) ou dualisation (donc diabolisation en faisant de la différence une tare).
Il y a en l'homme, comme un conflit majeur et natif entre le Moi et le Monde (ce qu'expriment les deux voies fondamentales de la communion-unification et celle de la dualisation-conflictualisation : s'intégrer ou assujettir. Ce qui traduit une peur panique d'un scénario extrême : la dissolution totale et définitive dans le Monde qui, ainsi, triompherait absolument et éradiquerait radicalement le Moi.
Or, il existe là un biais logique, une erreur de raisonnement : si le Monde a engendré le Moi, c'est que ce Moi y a un rôle à remplir, y a une mission à accomplir ; le conflit éventuel ne vient donc pas de l'existence du Moi en tant que tel, mais seulement et éventuellement du fait de l'absence de communion ou, du moins, de collaboration entre ce Moi et le Monde dont il est issu et qui attend un retour de sa part.
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