Les fondements maçonniques
Les Francs-maçons authentiques, qu'ils aient été "opératifs" ou qu'ils soient devenus "spéculatifs", selon la stupide terminologie devenue habituelle, étaient, sont et seront des "Constructeurs de Sacré", quelque que soit le matériau utilisé sur leur chantier.
Les mots sont essentiels. Il y en a deux …
Constructeurs …
Sacré …
Ils méritent d'être creusés et approfondis.
Qu'est-ce que le "Sacré" ?
Qu'est-ce que "Construire" ?
Mais avant de pouvoir répondre à ces deux questions essentielles pour toute Franc-maçonnerie authentique (régulière, universelle et traditionnelle) , il convient d'aborder débord un sujet bien ardu …
Le Divin …
Disons à ce stade, pour faire simple, que le Sacré est tout ce qui fait pont ou jonction entre l'humain et le Divin. "Divin" qui, dans mon propos, n'a que peu à voir, voire rien du tout à voir, avec le Dieu personnel des religions théistes ou déistes. Le Divin est un qualificatif substantivé ; ce n'est pas un substantif désignant un être ou un objet, matériel ou immatériel, périssable ou immortel, infini ou fini, changeant ou immuable, intemporel ou temporel, doté de caractéristiques propres qui le rendrait objectivable ou représentable.
Le Divin est, répétons-le, un qualitatif substantivé.
Le Divin n'est jamais une chose ou un être.
L'humain, quant à lui, est un vivant doté d'instruments de relation entre sa conscience personnelle (et ses multiples limites) et le reste du Réel (tant intérieur qu'extérieur). Pour merveilleux qu'ils soient, ces instruments sont très partiels (ils ne perçoivent qu'une toute petite portion du Réel) et très partiaux (ce qu'ils en perçoivent est déformé, tant par les instruments eux-mêmes que par la manière dont on en use).
L'humain sait qu'il est plongé et qu'il vit dans "quelque chose" qui le dépasse, l'englobe, le nourrit, l'agresse et/ou le protège, c'est selon, … mais il ne fait que deviner, plus ou moins confusément, ce "quelque chose" sans trop savoir vraiment ni ce dont il s'agit, ni comment cela fonctionne.
Toute la question centrale de toute la spiritualité est celle de connaître (ou de croire) la nature des relations entre ce mystérieux Divin et l'humain ("cet inconnu" dirait Alexis Carrel).
L'histoire de la spiritualité se scinde en deux grands ensembles … et donne deux déviances qui eurent leur succès …
Il y a d'abord cet ensemble qui croit que le Divin et l'humain forment deux mondes différents et séparés, finement reliés entre eux par un pont qui, précisément, est le Sacré sous la forme de livres, de rites, de prières, de préceptes moraux, de hiérarchies plus ou moins dogmatiques, etc … ou reliés par cette partie commune appelée "âme" qui serait à la fois divine et humaine et ferait la jonction entre ces deux mondes séparés.
Appelons cette première engeance les "dualistes".
Les christianismes (catholiques, protestants et orthodoxes), la rabbinisme (l'expression la plus récente du judaïsme pharisien), l'islamisme (en tant que religion et non en tant qu'idéologie totalitaire et terroriste) et le confucianisme (par certains de ses aspects) appartiennent à cette première engeance.
Il y a ensuite cet autre ensemble qui croit que l'humain est une partie inclusive et prenante d'un ensemble vivant et pensant, infiniment plus riche et plus grand que lui, dont il n'est qu'une manifestation particulière et temporaire, comme une vague à la surface de l'océan. Mais les limites inhérentes à cet être humain, partiel et partial, ne le rendent que très imparfaitement conscient de sa totale appartenance à cet être vivant qui l'incorpore, auquel il doit tout, et vis-à-vis duquel il a une mission (souvent "cachée" ou "inconnue") à accomplir. L'âme, dans ces cas, est le nom conventionnel que l'on donne à cette zone de la conscience où s'établi le sentiment d'appartenance de l'humain au Divin.
Appelons cette seconde engeance les "monistes".
Le taoïsme, le lévitisme (l'expression biblique, donc la plus ancienne, du judaïsme), une bonne part de l'hindouisme et du bouddhisme ainsi que des philosophes comme Héraclite, Parménide, les stoïciens, Aristote, les néoplatoniciens, les mystiques rhénans, Spinoza, Pascal (sous certains aspects), Nietzsche, Bergson, Whitehead, Einstein, et la plupart des cosmologistes et physiciens théoriciens actuels … ainsi que de nombreuses sectes plus ou moins crédibles, plus ou moins farfelues, plus ou moins magico-ésotériques, tous ceux-là font partie du monde moniste.
Il y a enfin les deux cas de négation absolue : l'athéisme qui nie radicalement l'idée de Divin dans quelque sens qu'on la prenne, et abhumanisme qui dénie toute existence à une entité particulière qui pourrait être appelée "l'humain" comme entité différente de tout ce qui existe.
Quoiqu'il en soit, hors ces croyances négatives, le Divin (un "qualitatif substantivé", j'y insiste) et l'humain expriment des modalités différentes de la réalité du Réel dans ses aspects tant matérialisants et vivants que pensants.
Et toute le problème posé par la Spiritualité est celui du rapprochement entre ces deux "mondes" jusqu'à, idéalement, établir entre eux une jonction profonde, une union vivante, une active "communion" (du latin cum munire : "construire ensemble" … avec la question : qu'y aurait-il donc à construire ?) … voire une totale et durable (voire définitive) "fusion".
Ce rapprochement du Divin et de l'humain porte, dans la tradition juive, un très joli nom : on y parle d'une "Alliance" … comme des époux qui porte une alliance à l'annulaire pour se rappeler, à chaque instant, ce qui les unit dans une même communion de vie.
Mais cette Alliance entre le Divin (qui l'attend avec impatience, mais sans concession ni facilitation) et l'humain (qui y rechigne souvent, du fait de l'égotisme qui le caractérise tellement, et qui lui préfère trop vite le narcissisme et le nombrilisme dont notre époque est si friande).
Le Sacré …
On l'a compris, l'intention centrale, cruciale et fondamentale de toute spiritualité (je dis bien "spiritualité" et non "religion" au sens où toute "religion" n'est que la dogmatisation à visée populaire d'une quête spirituelle, quelle qu'elle soit), l'intention spirituelle fondamentale est de construire un pont qui relie et permette donc l'Alliance entre l'humain et le Divin.
Et là, des méthodologies idoines nous viennent en aide. Les sciences profanes nous disent que, pour réaliser un pont (ou accomplir toute intention, quelle qu'elle soit), il faut des Ressources, un Plan et du Travail.
Ce sont précisément ces Ressources et ce Plan de construction de l'Alliance entre l'humain et le Divin qui constituent le Sacré. Voyons-les …
Le Sacré est d'abord l'ensemble des matériaux qui permettent de construire le pont de l'Alliance. La Franc-maçonnerie authentique appelle cela des Symboles. "Ici, tout est symbole", dit-on parfois dans les Loges maçonniques en se souvenant du mot de notre Frère Goethe. Ces Symboles maçonniques feront l'objet du présent ouvrage et il faudra donc que mon lecteur se souvienne, à chaque page et pour chacun d'eux, qu'un symbole constitue du matériau sacré en vue de la construction de l'Alliance. En lui-même ou par lui-même un "symbole" n'est rien, ne sert à rien, ne signifie rien ; il n'est qu'un bout de roche, parmi des milliers, qu'il faudra tailler avec soin pour qu'il devienne une pierre d'Alliance insérée dans le pont du Sacré.
Le Sacré est ensuite le Plan de travail indispensable pour mettre les symboles en œuvre et, ainsi, construire, grâce à eux, le pont de l'Alliance entre le Divin et l'humain.
Dans une Loge maçonnique authentique, ce "plan de travail" est le "Rituel" qui met les symboles au travail et en œuvre afin de bâtir dans la réalité des cœurs, des tripes, des têtes et des âmes, ce pont de l'Alliance qu'il soit matériel comme une cathédrale gothique construite par nos Frères du 13ème siècle, ou qu'il soit immatériel comme un essai livresque, construit ici et maintenant.
Il s'agit du même pont d'Alliance, il s'agit du même Sacré ; que le résultat soit matériel ou immatériel importe peu, ce qui réduit à néant l'artificielle distinction entre "maçon opératif" et "maçon spéculatif".
Que l'on me permette ici, à ce propos, une incise : il faut cesser de brailler que la Franc-maçonnerie authentique aurait été "créée" à Londres le jour de la Saint-Jean d'été, en juin 1717. Ce jour-là, il ne s'est rien passé du tout, aux dires mêmes de ceux qui auraient dû en être les acteurs ; ce qui s'est passé à Londres, sous la pression de la Royal Society, c'est la conception et l'approbation entre 1721 et 1723, des Constitutions de la Franc-maçonnerie londonienne (voulues par le secrétaire de la Royal Society, le révérent Jean-Théophile Desaguliers et rédigées par le pasteur James Anderson). Cette rédaction intervient bien après les Statuts mis en place, entre autres, par William Schaw, dès 1598 pour l'Ecosse (pour ne pas parler de manuscrits bien plus anciens comme le Regius, le Cooke, le Kilwinning, etc …). Bref …
Les Rituels, tout au long d'une vie de Franc-maçon et de son parcours ascendant sur cette échelle de Jacob qui mène aux pieds du Divin, et que propose la suite des "grades" maçonniques selon des logiques variables selon les Rites (Rite moderne, Rite écossais ancien et accepté, Rite émulation, Rite écossais rectifié, etc …), ne sont qu'un Plan de travail couvrant toute une vie initiatique : ils ne donnent que le Plan du pont d'Alliance à construire matériellement ou spirituellement. Ils donnent le Plan et les Matériaux, mais ils ne construisent rien.
Et comme en Loge, "tout est symbole", tout y est aussi rituel : les vêtures, les déplacements, les gestes, les grades, les fonctions, les prises de parole, les allumages et éteignements des chandeliers, les acclamations, etc …..
Construire …
Ainsi, nous avons déjà l'intention : construire l'Alliance entre le Divin et l'humain.
Nous avons aussi les matériaux : les Symboles.
Nous avons encore les Plans de travail : les Rituels.
Il nous reste l'essentiel : construire ! Tout cet immense travail à accomplir pour accomplir l'humain au service exclusif du Divin.
Les Francs-maçons, en bâtissant des cathédrales matérielles ou en bâtissant des œuvres spirituelles, construisent l'Alliance.
Ils sont des "Constructeurs" ; c'est cela et cela seul leur raison d'être, leur vocation, leur mission, leur projet : Construire l'Alliance entre le Divin et l'humain.
Et surtout rien d'autre : il existe d'autres cénacles, parfois compétents, pour construire la gouvernance des humains entre eux, faire de l'idéologie ou de la politique, pour construire des fortunes et de l'argent, pour vendre et acheter. Tout cela est sans doute nécessaire au quotidien, mais ne regarde en rien les Francs-maçons authentiques, c'est-à-dire réguliers, traditionnels et universels.
Eux n'ont qu'un seul et unique projet : bâtir l'Alliance entre le Divin et l'humain au moyen de leurs Symboles et de leurs Rites … et absolument RIEN d'autre !
Tout le reste est imposture !
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