Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Les invariants systémiques et processuels

La structure interne de tout processus complexe.

 

Un système complexe est une entité cohérente et (partiellement) autonome au sein du Réel.

Le Réel lui-même, pris comme un Tout, est aussi un système : celui qui contient tous les autres.

Tout système évolue en se transformant en permanence. La suite des transformation d'un système donné, est son processus.

L'étude des processus complexes est une branche montante de la physique.

 

La description complète d'un processus complexe nécessite un espace des états comprenant trois domaines distincts mais indissociables :

 

  • le domaine temporel ou dynamique caractérisé par le temps,
  • le domaine spatial ou topologique caractérisé par l'énergie,
  • le domaine formel ou eidétique caractérisé par la néguentropie.

 

Globalement, l'évolution de tout processus s'inscrit dans une dialectique bipolaire entre s'accomplir (l'intention d'accomplissement de toutes les potentialités) et se maintenir (l'intention d'inertie de toutes les accumulations).

 

Le mot "intention" n'est pas un hasard puisqu'il désigne une "tension intérieure", donc une "in-tension" : l'évolution d'un processus est donc tirée par ses possibilités d'accomplissements dans toutes ses dimensions, mais, en même temps, freinée par des forces d'inertie qui vise à préserver le statu quo.

 

Cette dialectique fondamentale se manifeste différemment sur les trois domaines des états :

 

  • sur le domaine temporel dynamique, elle engendre le dipôle entre téléologie (les attracteurs d'accomplissement des développements futurs) et généalogie (les attracteurs d'inertie des accumulations passées),
  • sur le domaine spatial topologique, elle engendre le dipôle entre topologie (les attracteurs d'accomplissement des structures territoriales internes) et écologie (les attracteurs d'inertie d'interactions avec le milieu extérieur),
  • sur le domaine formel eidétique, elle engendre le dipôle entre axiologie (les attracteurs d'accomplissement des principes organisationnels internes et externes) et immunologie (les attracteurs d'inertie contre les mécanismes de dissolution internes et externes).

 

On comprend que ces trois dialectiques internes à tout processus tendent à faire évoluer le système vers un état d'homéostasie (équilibre global dynamique induisant des rééquilibrages et adaptations permanentes) qui cherche, à tout moment, à être optimal.

Cette recherche permanente de l'homéostasie la plus optimale possible s'appelle le "métabolisme" du processus.

Le métabolisme constitue le septième "moteur" de l'évolution de tout processus complexe.

 

Le schéma ci-dessous résume ce modèle :

 

 
   

 

 

La représentation hexapolaire donnée dans le schéma ci-dessus, exprime, en les mettant face-à-face, les trois dialectiques au centre desquelles tout processus évolue.

Ce sont donc bien trois dipôles distincts (mais indissociables) que représente ce schéma et non pas six pôles indépendants les uns des autres.

 

Plus concrètement, ces sept moteurs d'évolution de tout processus peuvent s'exprimer avec des mots moins "savants" et plus imagés :

 

  • la généalogie du processus (son histoire, sa mémoire accumulée) exprime ce que le système est déjà devenu ; on parlera de son "patrimoine" ou, plus profondément, de son "identité",
  • la téléologie du processus (son intention, sa "bonne raison d'exister") exprime ce que le système pourrait encore devenir ; on parlera de son "projet" ou, plus profondément, de sa "vocation",
  • la topologie du processus (son extension, son volume spatial) exprime la place que le système s'est donnée ; on parlera de ses "territoires",
  • l'écologie du processus (ses relations d'échanges avec son milieu) exprime ce que le système a besoin d'acquérir ou d'évacuer ; on parlera de ses "ressources",
  • l'axiologie du processus (ses modèles d'ordre, ses méthodes, ses principes directeurs) exprime les modalités d'ordre que le système tend à mettre en place ; on parlera de ses "règles de vie" ou, plus généralement, de son "organisation",
  • l'immunologie du processus (ses défenses, sa capacité de résistance aux "agressions" tant externes qu'internes) exprime ce que le système peut supporter et encaisser ; on parlera de sa "stabilité" ou, plus profondément, de ses "résiliences",
  • le métabolisme du processus (ses activités, sa quête permanente d'optimalité) exprime ce que le système fait en permanence pour évoluer le plus optimalement possible ; on parlera de sa "gestion" ou, plus profondément, de ses "régulations",

 

Ce vocabulaire est celui qui sera utilisé dans la suite de ce travail, mais il ne faudra pas oublier que chacun de ces mots simples recouvre un concept beaucoup plus général et plus abstrait.

 

Le schéma suivant résume ce petit lexique :

 

 
   

 

La logicité d'un processus.

 

Tout processus évolue afin de maintenir une homéostasie optimale entre ses six pôles ou, plus exactement, entre ses trois dipôles.

Il doit accomplir sa vocation sans perdre son identité.

Il doit s'alimenter  son territoire sans épuiser ses ressources accessibles.

Il doit maintenir ses organisations sans perdre ses résiliences.

Et tout cela, il doit le faire de la manière la plus efficace possible au moyen de sous-systèmes de régulation bien "huilés".

 

Cette quête permanente d'un équilibre dynamique optimal est, pour reprendre une expression américaine, le "business as usual", lorsque les fluctuations autour des configurations d'équilibre ne sont pas trop fortes.

Mais tout change lorsqu'on se place "loin de l'équilibre", pour reprendre une expression parlante de mon maître Ilya Prigogine. Que se passe-t-il lorsque les circonstances obligent le système à sortir de sa zone d'homéostasie ?

 

Prenons un exemple simple : celui d'un jeune couple amoureux.

Il a défini une identité commune : leur livret de mariage ou leur "pacte civil de solidarité" (pacs) en témoignent.

Il a défini une vocation commune sous la forme d'un projet de vie, où l'intime et le social, le professionnel et ludique, le culturel et le créatif ont tous leur place.

Il a défini son territoire : l'appartement ou la maison sont aménagés, le lieu des vacances est choisi, les relations familiales sont précisées, etc …

Il a défini ses ressources : les revenus professionnels, les magasins, cinémas, restaurants et bistrots préférés, etc …

Il a défini son organisation en spécifiant les missions, rôles et affectations de chacun ou des deux, selon les tâches ç faire et selon les jours de la semaine.

Il a défini ses résiliences contre les invasions des fâcheux, des parasites, des casse-pieds, des voisins envahissants, etc …

Il a défini, enfin, comment réguler tout ça tranquillement pour que la vie se passe doucement, joyeusement, délicieusement.

Ce couple a mis en place son homéostasie et tout se passe bien …

 

Et puis, patatras ! Madame tombe enceinte. Grande et belle nouvelle. Bientôt le jeune couple sera deux jeunes parents comblés. Mais …

Jusqu'à la fin de la grossesse, l'homéostasie du couple sera préservée, moyennant quelques aménagements, souvent mineurs, dus à "l'état" de Madame.

Mais avec la naissance de bébé et le retour de maternité, tout change.

Le couple est devenu famille. Le projet de vie n'est plus le même. L'appartement est devenu trop petit. Le coût de la vie quotidienne a brutalement augmenté. La répartition des tâches doit être totalement revue. Les fâcheux deviennent plus fâcheux et les amis deviennent moins amis. Et bébé change si vite et de façon si imprévisible (sans compter les dents qui poussent, les nuits qui hurlent, les bobos divers et les maladies infantiles qui surviennent toujours au plus mauvais moment) que la belle et douce homéostasie d'antan est définitivement et irréversiblement révolue. Inutile de rêver au retour, avec bébé, à une vie de couple sans enfant.

 

Alors ? Il n'y a que deux issues : créer un autre mode de vie à trois - ou plus si affinités - (c'est la voie de l'émergence d'un mode de fonctionnement à un niveau supérieur de complexité) ou divorcer (c'est la voie de l'effondrement et le retour au célibat c'est-à-dire à un niveau inférieur de complexité).

 

Ce petit exemple est, en fait, représentatif d'une logicité extrêmement générale.

Pour le dire techniquement, tout processus ayant trouvé sa zone d'homéostasie, peut fonctionner de façon assez optimale tant que les fluctuations autour de ses zones d'équilibres ne sont pas trop forte. Mais que survienne une perturbation forte de sa configuration globale , et il sortira d'homéostasie et entrera en zone chaotique. Il n'en sortira (et ne s'en sortira) que d'une seule des deux manières possibles : soit par effondrement et descente de niveau de complexité, soit par émergence et montée de niveau de complexité.

 

Marc Halévy

Physicien, philosophe et prospectiviste

Le 27/02/2021