Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

L'état du monde humain.

Le monde change à toute vitesse. Toutes les structures étatiques s'étiolent ou perdent raison. Le nihilisme et l'individualisme forcenés s'installent partout. De même que la violence tant urbaine que guerrière.

Nous vivons la fin de la civilisation messianique du Salut (de 400 à 2050) dont le dernier des trois paradigmes (de 1500 à 2050) fut cette Modernité (le Salut par le Progrès) qui s'effondre sous nos yeux.

Une nouvelle civilisation (que j'appelle pandynamique - voir plus loin) est en émergence qui débutera par un nouveau paradigme que j'appelle "noétique" (parce que basé sur les technologies numériques et algorithmiques construites sur la pensée et la connaissance).

 

Bifurcation.

 

Le nihilisme

 

Le nihilisme est une attitude globale (philosophique, morale et pratique) face au monde, à la vie et même à soi, que Nietzsche a parfaitement décrite, surtout dans le prologue de son "Ainsi parla Zarathoustra".

 

Sans doute - et Nietzsche l'avait aussi clairement vu -, notre époque (depuis la fin du 19ème siècle, mais avec une spectaculaire remontée depuis vingt ans …) cultive-t-elle toutes les violences parce qu'elle a abandonné tout le Sacré (cfr. aussi René Girard). Nous y reviendrons plus loin.

 

Le nihilisme est vraiment la grande maladie du 20ème siècle, charnière navrante (et violente) entre la civilisation messianique (de 400 à 2050) qui croyait aux voies du Salut et la civilisation pandynamique[1] qui construira les voies de l'Alliance.

 

Les messianismes du Salut.

 

L'idée centrale de tout messianisme est qu'il faut "sauver l'humanité" qui, sinon, serait condamnée à un anéantissement apocalyptique.

Ce Messie, moteur de ce messianisme, varie énormément d'une culture à l'autre. Il peut être un être humain, un être surhumain, un être divin, un être extraterrestre, … ; comme il peut être un phénomène impersonnel, local ou global, déclenchant l'apocalypse salvatrice qui fera passer l'humanité "de l'autre côté" du monde, dans "l'autre monde" qui sera celui de la béatitude.

 

Car, dans leur essence, tous les messianismes sont dualistes posant l'existence de deux mondes distincts : ce monde-ci qualifié de détestable, de diabolique, de mauvais, de peccamineux et de tout ce que l'on voudra de négatif .... et face à ce monde ignoble, "l'autre monde" qui sera :

 

  • soit un monde "à côté" (le monde paradisiaque qui est déjà là et attend l'âme de l'humain vertueux dès son illumination ou dès après son décès) ; ce monde "à côté" est en général celui des religions et on le retrouve, peu ou prou, dans le rabbinisme, les diverses branches du christianisme et de l'islamisme, voire dans un certain bouddhisme et dans les spiritualités traditionnelles tant africaines qu'amérindiennes …
  • soit un monde "à venir" (un monde lui aussi paradisiaque qui prendra le relais après que ce monde-ci se soit effondré) ; ce mode "d'après" est en général celui des idéologies (une idéologie décrit le monde idéal qui viendra après ce monde-ci jugé infâme) et on le retrouve dans toutes les mouvances dites progressistes (le Salut viendra du Progrès), que ces mouvances soient marxistes, communistes, socialistes, maoïstes, populistes, etc … ou qu'elles soient technologistes, transhumanistes, extraterrestres, hyper-numériques, hyper-robotistes, etc …

 

A titre d'exemple en pleine actualité : les Etats-Unis sont aujourd'hui déchirés entre trois pôles messianistes : le pôle néo-évangéliste (le Salut par la parole de Jésus et les mouvements contre l'avortement, voire la contraception), le pôle techno-financiariste (le Salut par la conquête de tout et les délires transhumanistes, hyper-numériques ou trans-planétaires) et le pôle ethno-wokiste (le Salut par la négation de la réalité et le refus des différences naturelles au profit des différences culturelles ou artificielles).

Tout cela induit une sorte de guerre civile plus ou moins larvée qui affaiblit terriblement les USA et permet, ainsi, aux populismes russe, chinois et islamistes de gagner du terrain (économique et militaire) un peu partout.

 

Les pandynamismes de l'Alliance.

 

On le sait, ce qui ronge le monde d'aujourd'hui, en plein milieu de ce chaos inter-civilisationnel, c'est le nihilisme et les violences qu'il induit.

Pour le nihilisme : rien n'est sacré.

Et il ne faut surtout pas confondre "sacré" avec "religieux", ni même avec "divin" (au sens de "lié à un dieu").

Le sacré ou, mieux, la sacralisation est une reliance et une résonance avec la réalité du Réel que cela advienne, ou pas, par des cheminements spirituels, mystiques, initiatiques ou autres, laïques ou agnostiques.

Le sacré qui est le dépassement de l'humain, est ce qui lui donne sens et valeur.

Le sacré est la voie de l'accomplissement de l'humain au-delà de l'humain, dans un cosmos vivant qui le dépasse, l'inclut et l'englobe.

 

Ainsi naît l'idée du pandynamisme : relier les activités humaines à l'accomplissement du Réel, de la Vie et de l'Esprit, et nouer ainsi l'Alliance entre l'humanité et tout le reste qui existe, qui vit, qui ressent, qui pense …

Relier la dynamique humaine à la dynamique du Tout.

Au sens étymologique et scientifique, ce pandynamisme est une écologie : la reliance entre l'humain et la "maison" - oïkos en grec - qu'il habite, qui l'englobe et le nourrit, et qu'il doit apprendre à servir.

 

La notion fondamentale d'Alliance remplace celle de Salut.

Le problème n'est pas de "se sauver" (qu'y aurait-il donc à sauver ?), mais bien de "s'allier" avec soi, avec l'autre, avec le monde, avec le Réel, avec la Vie et avec l'Esprit (l'ordre cosmique, autrement dit).

Le Réel est un vaste chantier qui appelle la communion (du latin cum munire : "construire ensemble") de tout ce qui existe, et appelle de chacun selon ses talents et rend à chacun selon ses œuvres.

 

Mais il faut sortir cette grande idée d'Alliance des anciennes litanies religieuses ou idéologiques : humanisme, universalisme, progressisme, égalitarisme, solidarisme, démocratisme, fidéisme, traditionalisme, dogmatisme, etc …

Il s'agit d'un rude chantier et non d'une fête carnavalesque où chacun est prié de se déguiser en ce qu'il n'est pas.

 

Trois attitudes.

 

La mondialisation a induit d'incontournables interdépendances à tous les niveaux, mais cette mondialisation s'est effondrée induisant une fragmentation du monde humain en factions … qui, tout en restant interdépendantes, se font la guerre (militaire, monétaire, commerciale, technologique, cybercriminelle, idéologique, religieuse, etc …).

 

Face à cette grande bifurcation civilisationnelle, on décèle plusieurs attitudes :

 

  • les charognards que le chaos inter-civilisationnel arrange bien et qui pillent tout ce qui est pillable à leur portée ;
  • les nostalgiques qui cherchent à rétablir une forme réinventée ou refantasmée de messianisme (le Salut par la technologie, le Salut par l'idéologie, le Salut par la religion, le Salut par la tradition, …) ; ces différentes nostalgies très vivantes aujourd'hui, expliquent les grands blocs géopolitiques qui se déchirent le monde et, ce faisant, ne font qu'amplifier le chaos inhérent à l'incontournable et irréversible bifurcation en cours (voir plus loin) ;
  • les constructeurs qui entrevoient bien qu'une nouvelle civilisation est vitale et à bâtir, mais dont la majorité (comme la plupart des "écolos", par exemple) tente, pour avancer, de se raccrocher à une ancienne voie de Salut (le gauchisme, par exemple, ce qui amplifie aussi le chaos ambiant).

 

Huit continents

 

L'effondrement de la "mondialisation" - qui ne fut, en fait, que la prolifération pandémique du financiarisme américain - a induit une fragmentation forte du monde humain. Le rêve universaliste s'est volatilisé.

Aujourd'hui, le monde humain est divisé en huit continents très différents :

 

  • Les deux constructeurs :
    • L'Euroland qui rêve de voir émerger un monde nouveau, écologique et prospère, pandynamique.
    • L'Indoland qui se débat entre une tradition spirituelle de paix et de sérénité, et une histoire chahutée dans l'empire britannique (devenu américain) et avec l'empire chinois.
  • Les quatre nostalgiques :
    • L'Angloland qui cultive la nostalgie de son ancienne hégémonie financiariste et impérialiste.
    • Le Russoland qui a resombré, avec Poutine, dans la nostalgie du grand empire panrusse, voire panslave.
    • Le Sinoland qui veut recréer la gloire et la prééminence de son ancien empire du Milieu dominant tout le monde "jaune".
    • L'Islamiland qui rêve des gloires éteintes des califats de Bagdad et de Cordoue, ainsi que des splendeurs de l'empire perse.
  • Les deux charognards :
    • Le Latinoland qui, par tous les moyens (y compris le trafic à grande échelle de la drogue), n'aspire qu'à s'enrichir au détriment des autres continents et des ressources naturelles.
    • L'Afroland qui vend toutes ses ressources au plus offrant au bénéfice exclusif de quelques factions qui se font perpétuellement la guerre civile.

 

Cette catégorisation (qui doit être plus nuancée au cas par cas) entre les huit continents et les trois attitudes géopolitiques dresse une portrait fiable de l'état du monde aujourd'hui.

 

Les frictions tectoniques.

 

Comme les plaques tectoniques de l'écorce terrestre, chacun des huit continents connaît des frictions plus ou moins graves avec son ou ses voisins (historiques ou géographiques). Ainsi, par exemple, parmi les plus "explosifs" :

 

  • L'Ukraine, la Crimée, la Biélorussie ou la Moldavie entre le Russoland et l'Euroland.
  • Israël et Chypre entre l'Islamiland et l'Euroland.
  • Le Soudan et le Mali entre l'Islamiland et l'Afroland.
  • Le Mexique entre le Latinoland et l'Angloland.
  • L'Himalaya entre l'Indoland et le Sinoland.
  • Taïwan, la Corée du Sud et, peut-être, le Japon entre le Sinoland et l'Angloland.
  • Le Pakistan entre l'Indoland et l'Islamiland.
  • La Mongolie entre le Russoland et le Sinoland.
  • Etc …

 

C'est bien sûr dans ces failles en friction que les risques de conflits (pas nécessairement militaires) sont les plus grands.

L'actualité le confirme à suffisance.

 

Quatre chemins.

 

Le conflit entre les trois attitudes possibles (constructeur, nostalgique et charognard) face à l'inéluctable bifurcation en cours, induit plusieurs scénarii comportementaux possibles.

Quoique l'on fasse, il y aura toujours des charognards (les moins nombreux et les plus réprimés possible, espérons-le).

Quatre scénarii visent donc à régler le différend entre les constructeurs et les nostalgiques :

 

  • Construction commune et dialectique en vue de bâtir un monde inscrit dans la nouvelle civilisation pandynamique, mais respectant les traditions et les mémoires accumulées.
  • Guerre destructrice des deux camps visant la victoire de l'un et la destruction de l'autre.
  • Autarcie isolatrice de chacun des deux camps qui se séparent clairement, érigeant, chacun, leur autonomie (un peu comme ce fut le cas en Corée ou entre les pays de l'est européen et la Russie après la chute du mur de Berlin.
  • Domination subversive de l'un des deux camp qui "tolère" l'autre camp, tout en le coupant de tout moyen lui permettant d'accomplir son projet (c'est le cas dans beaucoup de pays musulmans).

 

Il faut noter que ces quatre chemins sont effectifs à l'intérieur de chacun des huit continents, mais le sont autant entre eux : les "jeux" géopolitiques actuels entre USA, UE, Chine, Russie, Inde, Brésil, Iran, Qatar et Arabie saoudite le démontrent tous les jours.

 

*

 

[1] J'appelle "pandynamisme" l'idée que le Réel pris comme un tout, et l'ensemble de tout ce qu'il contient, concourent à son accomplissement en plénitude. Cette idée contient celle que tout ce qui existe, doit contribuer, au mieux, à l'accomplissement de soi et de l'autour de soi.