Où va l'humanité ?
- Pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?
Parce que nous vivons la fin de deux cycles historiques importants : le cycle paradigmatique de la "modernité" (1500 à 2050) qui est le troisième et dernier du cycle civilisationnel de la "christianité" (400 à 2050).
L'histoire humaine est la concaténation de cycles – comme tout ce qui vit, d'ailleurs – qui ont une durée de vie finalement assez constante (550 ans pour un paradigme et 3x550=1650 ans pour un cycle civilisationnel). Cela est vrai pour l'Europe (l'Hellénité de -700 à -150, la Romanité de -150 à 400, la Christicité de 400 à 950, la Féodalité de 950 à 1500 et la Modernité de 1500 à 2050), comme cela est vrai – nous l'avons vérifié avec des historiens spécialistes – pour l'histoire chinoise, l'histoire indienne, et l'histoire précolombienne. Cela est vrai aussi pour l'histoire musulmane, pourtant bien plus récente, avec ses deux cycles : le premier arabique et le second ottoman.
Le passage d'un paradigme usé au suivant est toujours une période chaotique car les anciens instruments de régulation ne fonctionnent plus bien – et de moins en moins bien, on l'a vu avec la pandémie – et les nouveaux ne sont pas encore là.
Cette période de chaotisation est aussi le période de tous les dangers pour deux raisons : les dysfonctionnements sociétaux s'amplifient avec l'effondrement plus ou moins rapides des anciennes institutions (étatiques, boursières, bancaires, patronales, syndicales, académiques et médiatiques) et les mouvances délétères (wokisme, islamisme, racialisme, genrisme, indigénisme, hyper-féminisme, …) en profitent pour forcer le passage au prix de toutes les violences physiques, psychologiques ou verbales.
Ce passage d'un paradigme au suivant procède de deux logiques contradictoires : l'une nostalgique (on pleurniche sur le "bon vieux temps"), l'autre créative (on invente de nouveaux territoires et de nouveaux processus). C'est ce qui s'est passé lors de la chute de l'Empire romain vers 400 ou carolingien vers 950, ou lors de la Renaissance vers 1500 ; c'est ce qui se passe aujourd'hui.
- Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?
L'extrait suivant qui clôt mon prologue, me semble le plus adéquat :
Toute cette aventure prospectiviste est née de la rencontre entre mon équipe de physiciens de la complexité, des historiens professionnels et des décideurs économiques (chefs d'entreprise, pour la plupart).
Il était temps de prendre du recul et d'esquisser une "philosophie de l'histoire" qui applique, rigoureusement, systématiquement et scientifiquement, les modèles de la physique des processus complexes à l'histoire humaine, prise comme un tout, sur le long et le moyen termes. Tous mes travaux précédents, bien sûr, ont été construits sur les mêmes méthodologies, mais à chaque fois, sur un thème spécifique. Il me semblait indispensable de dégager une vue d'ensemble !
Telle est l'ambition et la raison d'exister de ce livre.
Il s'élabore sur cinq thèmes successifs :
- Définir ce qu'est la science prospective au-delà des idéologies et des divinations et exprimer son ancrage fort dans la physique des processus complexes.
- Exprimer la "logicité" de l'histoire humaine au travers des modèles universels d'évolution des processus complexes, quels qu'ils soient.
- Décortiquer la situation actuelle du monde humain qui vit une crise majeure globale et dont la chaotisation actuelle ne fait que refléter une changement radical de paradigme à l'échelle mondiale.
- Pronostiquer quels seront les nouveaux chemins qui sont en train de s'ouvrir pour que l'humanité construise un nouveau monde humain et, ainsi, échappe à l'effondrement promis par les collapsologues.
- Voir ce que donnent ces pronostics à l'horizon 2050 (je ne prends aucun risque personnel puisqu'à cette date je serai mort et enterré, mais je ne souhaite pas devenir la risée de mes petits-enfants … alors : du sérieux !).
Bonne lecture !
- Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?
Il ne s'agit pas de croyances, mais d'applications strictes des modèles de la physique des processus complexes au système socioéconomique humain. Je propose les pistes suivantes à la réflexion …
Un monde se meurt (celui de la modernité et de ses valeurs et grilles de lecture du onde) et un nouveau monde est en émergence selon cinq axes majeurs.
Du point de vue écologique, nous avons quitté l'ancienne logique d'abondance et sommes entré dans une logique de pénurie sur toutes les ressources essentielles (énergie, terres arables, eau douce, métaux non ferreux, …) ; il faut donc développer une économie de la frugalité.
Du point de vue généalogique, nous venons d'un modèle financiaro-industriel basé sur l'économie de masse (produire et vendre beaucoup) et de prix bas. Ce modèle est mourant : tous les prix de revient vont remonter et les marchés se tournent vers une logique de valeur d'utilité et de niches ; il faut donc développer une économie de la virtuosité.
Du point de vue technologique, le numérique a supplanté le mécanique : c'est l'intelligence immatérielle qui produit la valeur, pas les processus matériels. Tout ce qui est robotisable, sera robotisé ; tout ce qui est algorithmisable, sera algorithmisé. Le centre de gravité des activités proprement humaines se déplace à toute vitesse vers de nouveaux métiers
.
Du point de vue logistique, le modèle hiérarchique classique a atteint sa zone d'inefficience. Il est beaucoup trop pauvre en relations et interactions, donc trop lent et trop lourd, pour répondre à la complexification et à l'accélération du monde réel ; il faut donc passer à des organisations riches c'est-à-dire au fonctionnement en réseau collaboratifs de petites entités autonomes.
Enfin, de point de vue éthique, la nihilisme du 20ème siècle laisse un monde en manque cruel de sens et de valeurs ; il faudra donc répondre à la grande question : au service de quoi est l'homme, l'humanité, l'entreprise, l'économie, la communauté, la société ?
- Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?
Apprendre à nous-mêmes, mais aussi à nos enfants et à nos petits-enfants, à construire et à cultiver notre autonomie dans l'interdépendance.
L'autonomie : ne pas dépendre des autres ni matériellement, ni émotionnellement, ni intellectuellement, ni spirituellement. L'autonomie n'interdit nullement l'interdépendance de tout avec tout, dans les vaste réseaux de la Vie et de l'Esprit. Bien au contraire. Une vie sphéroïdale, totalement encapsulée et fermée sur elle-même, coupée le reste du monde, "hors-sol" et radicalement autarcique, est, d'ailleurs, physiquement impossible.
Il faut prendre garde à ne pas confondre interdépendance (qui sous-entend la réciprocité et la mutualité) et dépendance (qui sous-entend la soumission et l'obédience).
Je pense que l'autonomie personnelle sera (est déjà) une des valeurs premières et fondatrices du nouveau paradigme.
L'autonomie, étymologiquement, pointe vers l'idée que chacun n'obéit qu'à lui-même (auto) et forge sa propre loi (nomos), sa propre règle de vie, sa propre discipline existentielle.
La liberté réelle - l'autonomie - n'est pas l'absence de règles, de discipline, d'ascèse, d'obéissance ; bien au contraire. Il n'y a pas de vie pleine sans règles et sans discipline. Vivre est une ascèse initiatique qui vise l'accomplissement de soi par le dépassement de soi.
Chacun doit se forger sa propre discipline de vie, ses propres règles de vie … et s'y tenir, dans une indéfectible obéissance à soi-même, dans une stricte fidélité à soi-même.
C'est d'ailleurs là que se définit l'éducation et qu'elle se distingue de l'instruction. L'instruction accumule des langages, des savoirs et des méthodes. L'éducation doit viser à rendre les individus autonomes dans chacune de leurs quatre dimensions. Eduquer, ce n'est pas "dresser" à obéir à des règles extérieures. Eduquer, c'est apprendre à construire ses propres règles intérieures. C'est cela l'autonomie !
- En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?
La spiritualité et la cosmologie.
La spiritualité comme dépassement de toutes les religions, comme dépassement de tous les théismes dualistes qui encombrent encore l'histoire philosophique. La spiritualité comme art de poser toutes les bonnes questions sans jamais imposer la moindre réponse. La spiritualité comme quête, comme quête de sens et de valeur pour répondre à cette question cruciale : au service de quoi vais-je ou dois-je mettre mon existence ?
La cosmologie comme recherche intellectuelle, comme compréhension du Réel et de toutes ses manifestations. La cosmologie est la mère de toutes les sciences puisqu'elle vise à formuler les fondamentaux de l'univers pris comme un tout. Et, là aussi, il faut assumer un changement de paradigme et quitter les visions mécanicistes, réductionnistes, analytiques, déterministes qui ont alimenté, durant toute la Modernité, l'édification de la science classique.
Et l'on comprendra, je pense, que la spiritualité et la cosmologie sont les deux faces complémentaires de la même médaille.