Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Prospective : faire le point aujourd'hui !

L'article qui suit est une reformulation réactualisée du modèle de la mutation paradigmatique qui est à la source de mes travaux de prospectiviste.

A leur habitude, les médias opposent deux regards sur nos sociétés.

Le premier, plutôt bourgeois et conservateur, met en garde - à très juste titre, contre la montée en puissance des "maladies" de notre temps, dans nos sociétés occidentales.

Et de leur côté, ils ressassent sans fin les vieux poncifs usés du paradigme philosophiste des soi-disant "Lumières" (bref : celui des Kant, Bentham et Hume).

 

Ils opposent en fait ce que j'ai appelé ailleurs, de nombreuse fois, la "courbe rouge" (on tente de maintenir le paradigme moderne issu de la Renaissance et des Lumières, en l'état, coûte que coûte : universalisme, humanisme, droit-de-l'hommisme, étatisme, démocratisme, solidarisme, etc …) et la "courbe noire" (en gros : la démagogie et les nostalgies populistes globalement fascisantes, sous la coupe de la bien-pensance socialo-gauchiste et des rétro-activismes).

Si la courbe noire est évidemment nauséabonde et ne mène qu'à l'amplification de la phase chaotique actuelle avec, comme seule issue, l'effondrement de l'humanité, l'obstination à maintenir les valeurs de la courbe rouge est un déni de réalité et une absurdité puisque ce paradigme moderne (de 1500 à 2050) et, plus profondément, le méta-paradigme christiano-idéaliste (de 400 à 2050), sont obsolètes au vu des cinq irréversibles et irréfragables ruptures que nous vivons depuis environ 1975 à savoir :

 

  • La rupture éconologique qui impose de réinventer toutes les productions et toutes les consommations, donc tous les marchés, en raison de la pénurie bientôt généralisée de toutes les ressources matérielles ; cette réinvention devra se construire sur la base du principe de frugalité, et du principe de la valeur d'utilité et d'usage.
  • La rupture éthologique qui impose de réinventer tous les comportements et tous les modes opératoires, tant professionnels que domestiques, donc toutes les activités, toutes les organisations et tous modes de communications, en raison de la révolution numérique ; cette réinvention devra se construire sur base de réseaux immatériels impliqués par l'abolition de l'espace et temps.
  • La rupture axiologique qui impose de réinventer toutes les valeurs éthiques et morales, citoyennes et personnelles, privées et publiques, politiques et domestiques, en raison de l'émergence de cette nouvelle éthologie impliquée par les réseaux immatériels ; cette réinvention devra se construire sur base d'un développement de réelles et profondes intelligences et sagesses technologiques.
  • La rupture noétique qui impose de réinventer toute la noologie, c'est-à-dire tous les développements de l'esprit humain - qui sont la mémoire, la volonté, la sensibilité, l'intelligence et la conscience - et de redéfinir les modalités de création, de construction, de transmission et de diffusion des connaissances, tant théoriques que pratiques, intellectuelles que manuelles, esthétiques que morales ; cette réinvention devra se construire sur base de la construction d'une véritable noosphère.
  • La rupture téléologique qui impose de réinventer toutes les raisons d'exister, de vivre, d'aimer, d'œuvrer, de procréer, de créer, de collaborer, etc … et de s'efforcer de comprendre le sens ou de donner du sens à une existence, personnelle et collective, qui n'aura plus grand' chose à voir avec les paradigmes historiques connus ; cette réinvention devra se construire sur base du principe simple qui consiste à mettre l'homme et l'humanité, non plus au service de leur propre nombril, mais bien au service de la Vie et de l'Esprit.

 

Ces cinq ruptures majeures condamnent la "courbe rouge" à disparaître avant 2050.

Nos cinq ruptures invitent, au travers d'autres modèles, à considérer neuf pistes pour construire la "courbe verte", abolir la "courbe rouge" et abattre la "courbe noire".

Les voici :

 

 

Pistes ...

Mots-clés

1

Démassification

Rejeter tout ce qui est "massif" et "standard" : production de masse, marchés de masse, distribution de masse, médias de masse, loisirs de masse, etc … Chercher la "personnalisation" en tout …

2

Autonomisation

Vouloir être autonome soi-même et ne dépendre de personne ni physiquement, ni émotionnellement, ni intellectuellement, ni spirituellement … Mais aussi, cultiver l'interdépendance mutuelle et réciproque …

3

Relocalisation

En finir avec la mondialisation : continentaliser les territoires et les infrastructures, et localiser la vie dans une économie matérielle de totale proximité …

4

Innovation

Cultiver la créativité dans toutes les dimensions de la vie et (ré)inventer tout en permanence … Créer sa vie comme une œuvre d'art …

5

Procentration

Se concentrer sur sa propre raison d'être et sa propre vocation, et y développer tous les talents et toutes les compétences, toutes les techniques et tous les métiers qui mènent à l'excellence et la virtuosité au service de cette vocation …

6

Qualification

Passer, en tout, du quantitatif au qualitatif … de la quantité d'avoir, de paraître ou de consommer à la qualité d'être, de devenir et de créer … Refuser, en tout, la non-qualité

7

Immatérialisation

Appliquer, en tout, ce principe que, désormais, ce sont les patrimoines immatériels (les connaissances et savoirs, les talents et compétences, les mémoires et intelligences, les sensibilités et volontés, les lucidités et conscience) qui sont les plus stratégiques et les plus enrichissants, tant personnellement que collectivement.

8

Synchronisation

Accepter que le monde réel soit devenu imprévisible et imprédictible et abandonner les vieux rêves rationalistes de planification et de quantification de tout … Le monde est une vaste organisme vivant qui se crée et s'invente à longueur de temps, selon que ses potentialités internes rencontrent, ou non, des opportunités externes … Cultiver l'éveil et la vigilance, la curiosité et la lucidité …

9

Réticulation

Partout, en tout, toujours, dénoncer les centralisations des pouvoirs, les bureaucraties publiques ou privées (les "dinosaures"), les pyramides hiérarchiques, les grosses organisations monolithiques … Préférer les organisations en réseaux constitués de petites entités autonomes, agiles, légères, fédérées entre elles par un projet collectif noble et constructif …

 

Pour nous, aujourd'hui, il ne s'agit plus ni de maintenir la "courbe rouge", ni d'accepter la "courbe noire" ; il s'agit de construire la "courbe verte" qui permettra de relever tous ces défis et, ainsi, d'éviter l'effondrement promis, à juste titre si l'on s'entête, par les collapsologues.

 

Marc Halévy

Physicien, philosophe et prospectiviste

Le 06/01/2020