Trois ères spirituelles
Sur vieux fond d'animisme (qui prit de très nombreuses formes, un peu partout) et dans sa continuité métaphysique, les quatre traditions spirituelles et religieuses encore actuellement vécues (hellénisme, judaïsme, védantisme, taoïsme) sont nées au 6ème siècle avant l'ère vulgaire.
Un cycle paradigmatique plus tard naissent les traditions secondes (toujours syncrétistes), comme le pharisaïsme (zoroastrisme et lévitisme), le christianisme (hellénisme et pharisaïsme) ou le ch'an chinois (taoïsme et bouddhisme).
Et encore un cycle paradigmatique plus tard, viennent les traditions tierces, comme l'islamisme arabe, le bouddhisme tibétain, le taoïsme clérical ou le zen japonais.
Ce qui est frappant, c'est de constater que l'obsession sotériologique du salut, de la vie éternelle et de l'immortalité de l'âme, n'est que très périphérique, voire inexistante, dans les traditions premières. La question du "salut personnel" ne vient qu'avec les traditions secondes.
Le vieux fond animiste se concentrait sur la relation entre les humains et les forces de la Nature et visait à se les concilier.
Dans cette foulée, avec les traditions premières, apparaît l'idée du Divin/Sacré au-delà ou en-deçà du monde profane des apparences ; le problème, alors, était d'établir une Alliance au sein de ce dipôle métaphysique et mystique, entre ce Divin/Sacré et l'humain.
Le souci du "moi" n'apparaît que bien plus tard.
En filigrane de toutes ces évolutions spirituelles, le seul problème réel est éthique : celui d'accorder sa volonté personnelle (son propre projet de vie, sa propre "bonne raison de vivre"), avec la Volonté cosmique (l'Intention immanente du Réel pris comme un tout qui vise à s'accomplir en plénitude c'est-à-dire à épuiser toutes ses potentialités créatives et constructives).
Il y a "Bien" lorsqu'il y a convergence. Il y a "Mal" lorsqu'il y a divergence.
Le "Bien" et le "Mal" ne sont donc pas des catégories absolues, mais sont strictement relatives au projet de vie que chacun se donne.
On en revient toujours à la notion-clé d'Alliance entre le Divin/Sacré (le Réel pris comme un tout organique dont les humains font partie intégrante, prenante et contribuante) et lesdits humains.
Cette notion d'Alliance est au cœur de la Bible hébraïque et de la tradition spirituelle et mystique juive (c'est le mot hébreu Bryt qui la traduit – à remarquer que ce mot est la forme abstractive, par le suffixe yt, de la racine BR qui signifie "pur" : l'Alliance est une "purification" de la vie personnelle). Mais elle est aussi au centre de la pensée taoïste lorsque celle-ci dit que le secret de la "bonne vie" est d'harmoniser profondément son tao de vie avec le Tao cosmique. Elle est tout autant axiale dans les traditions hellénistes (surtout stoïcienne, mais pas seulement) où il est dit et répété que la "bonne vie" se vit comme "imitation de la Nature". Le védantisme va dans le même sens : Tat Tvam Asi, "Tu es cela".
En suite aux paradigmes de l'Alliance (le dernier cycle paradigmatique de l'ère animiste), funestement, fut pensée et organisée une métaphysique du rejet du monde réel et vivant, et du salut de l'âme personnelle (bouddhisme, christianisme et islamisme … et tous les idéologismes à leur suite).
Ce fut le "sinistre virage de l'idéalisme" qui a empoisonné toute l'histoire humaine jusqu'à nos jours (le grand cycle de la "civilisation idéaliste" s'étend, grosso modo, de 400 à 2050). Tous les idéalismes sont, fort heureusement et opportunément, en train de s'effondrer sous nos yeux, et cet effondrement annonce une ère nouvelle : celle du cosmosophisme (celle de l'âge adulte de l'humanité après son enfance animiste émerveillée et son adolescence idéaliste révoltée).
Marc Halévy
Physicien, philosophe et prospectiviste
Le 10/10/2020