Une métaphore prospectiviste.
Il est vraiment essentiel de réviser de fond en comble notre vision de l'histoire humaine, non pas comme une progression linéaire ponctuée par des personnages ou batailles spectaculaires, mais bien comme une concaténation de cycles intriqués, sur différents niveaux de durée, qui connaissent, chacun, un phase de construction, une phase d'apogée et une phase de dépassement suivie d'une phase chaotique qui aboutit soit sur un effondrement cataclysmique, soit sur l'émergence du cycle suivant.
Cette histoire humaine possède sa logicité propre, mais globale. Les gesticulations politiques, économiques et sociales n'y jouent qu'un rôle mineur, seulement sur le court terme.
Le seul moment d'indétermination profonde est celui de l'émergence à partir du fond chaotique ; là, plusieurs scénarii sont possibles (comme on le sait depuis que la théorie du chaos a mis "l'effet papillon" en évidence).
Une fois émergé du chaos initiateur, chaque cycle paradigmatique a sa logique propre qui se déroulera jusqu'à son effondrement final, quoique les humains fassent.
En guise de métaphore, on peut voir la chose comme la construction et l'occupation d'une maison :
- L'effondrement du cycle précédent et la période chaotique qui l'a suivi, a fait place nette ; le terrain est prêt.
- Alors débute la vraie phase créative : les plans d'architecte.
- Phase de construction : le chantier démarre avec ses aléas, ses adaptations, ses heurs et malheurs, mais fondamentalement, le chantier suit cahin-caha le déroulement prévu.
- Phase d'apogée : une fois la maison construite - plus ou moins bien … -, on l'habite et on la décore de mille manières, plus ou moins imaginatives ; mais sans que la maison soit transformée ; elle reste identique à elle-même, dans la logique de son plan.
- Phase de dépassement : puis la maison commence à ne plus être adaptée au nombre et aux vœux de ses habitants et l'on commence des travaux d'agrandissement, de réaménagement, de réparations, etc … Les matériaux de la maison commence à vieillir et vont arriver en fin de vie ; les travaux d'aménagement ont, de plus, ébranlé les structures : des fissures et des crevasses apparaissent, le bâtiment se délabre, doucement mais sûrement, irréversiblement, et de plus en plus vite jusqu'à l'effondrement.
- Et le cycle, alors, peut recommencer par une phase chaotique où l'on s'abrite comme l'on peut dans les ruines encore debout, mais où les architectes doivent dare-dare repenser de nouveaux plans pour la nouvelle demeure qui devra correspondre aux nouveaux cahiers des charge.
Nous vivons une telle époque d'effondrement du paradigme d'avant, de fond chaotique et d'émergence du paradigme d'après. Mais qui sont les "architectes" qui vont établir les plans pour le chantier qui commence ?
Qui que soient ces architectes, il faudra répondre au sept questions de fond qui définiront la logicité du nouveau paradigme :
- Quelle est la finalité recherchée ? Quelle est l'intention ?
- Quels sont les patrimoines qui peuvent être valorisés ?
- Quelle est la vision globale du monde ?
- Quelles sont les relations et échanges privilégiés avec l'extérieur ?
- Quel est le modèle fondamental d'organisation ?
- Quels sont les domaines d'innovation prioritaire ?
- Comment optimiser et harmoniser ces six pôles ?
Qui donc va y répondre ?
Certainement ni les politiciens (qui s'occupent, plus ou moins correctement, du présent), ni les historiens (qui se débattent avec le passé).
Encore moins les idéologues qui n'ont qu'une seule idée : imposer leurs fantasmes archaïques.
Qui, alors ?
Les entrepreneurs qui lancent des projets innovants. Les technologues qui inventent des outils nouveaux. Les prospectivistes qui indiquent des chemins possibles et soulignent les options impossibles. Certains intellectuels plus lucides que ces autres figés dans le court terme de la notoriété.
Ce travail architectonique est donc très dispersé, très fragmentaire, très hétéroclite, laissant au chantier une large marge d'improvisation, d'essais et erreurs.
Quel serait le profil parfait du nouveau paradigme en émergence ?
Pour répondre à cette question, tentons de répondre aux sept questions paradigmatiques et pragmatiques énoncées plus haut …
- Quelle est la finalité recherchée ? Quelle est l'intention ? Construire, renforcer et garantir l'autonomie personnelle et collective à tous les niveaux, dans l'interdépendance de tous, dans le respect radical des autonomies des autres, dans la paix et dans le respect des différences qui sont autant de chances de complémentarité.
- Quels sont les patrimoines qui peuvent être valorisés ? Les patrimoines immatériels constitués par la Sagesse (spirituelle) et la Connaissance (scientifique) dans les acceptions les plus larges de ces deux notions.
- Quelle est la vision globale du monde ? L'humanité, comme tout ce qui existe, n'est qu'un processus comme les autres qui n'existe que comme moyen d'accomplissement du Réel pris comme un Tout organique et vivant ; la mission humaine, dans le Réel, est de contribuer à faire émerger l'Esprit, à partir de la Matière et de la Vie, sur cette planète.
- Quelles sont les relations et échanges privilégiés avec l'extérieur ? Pour chaque humain, l'éthique de vie consiste à chercher l'accomplissement de soi et de l'autour de soi au service de l'accomplissement du Réel ; cela signifie la plus grande frugalité dans l'usage des ressources naturelles, et le plus grand respect de la Matière, de la Vie et de l'Esprit sous toutes leurs formes.
- Quel est le modèle fondamental d'organisation ? Le vieux modèle hiérarchique pyramidal est mort ; il est trop pauvre en relations et interactions pour relever les défis de la complexification du monde ; toutes les organisations humaines doivent migrer vers un modèle de fonctionnement en réseau de petites entités autonomes, en interactions réciproques fortes et fédérées par un projet commun, fort et noble.
- Quels sont les domaines d'innovation prioritaire ? Ceux de l'immatériel ; ceux de l'accomplissement de soi et de l'autour de soi ; ceux de la respiritualisation de la Vie ; ceux de la robotisation intégrale de toutes les tâches matérielles ; ceux de la décroissance démographique ; ceux de l'amplification de la joie de vivre dans le Réel, par le Réel, avec le Réel, pour le Réel ; ceux de l'apprentissage de l'autonomie, du vivre en paix et de la réalisation de sa propre vocation.
- Comment optimiser et harmoniser ces six pôles ? Par le développement profond, au niveau de chaque personne, d'une autonomie de vie et d'une éthique de vie ; par la mise en place de systèmes efficaces de lutte drastique contre les crimes de lèse-autonomie et de lèse-éthique.
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