Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Une philosophie du temps

Le temps passe-t-il ?

Le problème de la mort, de l'immortalité, du salut, ainsi que les théories sotériologiques et eschatologiques, s'inscrivent tous profondément dans l'idée du temps qui passe.

Car telle est la vision classique : le temps passe : Seul le présent est réel puisque le passé n'existe plus et que le futur n'existe pas encore.

Mais si le passé n'existe plus, comment le juger ? Comment parler encore de mérite ou de faute comme le font les théologies ? Quelle que soit la manière dont on tourne le problème, on retrouve toujours la même conclusion : une mémoire est nécessaire pour pouvoir, en même temps, se rappeler des leçons du passer et se souvenir qu'un salut futur reste toujours à construire.

Il ne peut poursuivre, avec persévérance, un projet quelconque sans devoir se rappeler, constamment, de l'existence de ce projet.

Autrement dit, toute considération sur la durée, et l'évolution, et le salut, et le projet, et l'intention, appelle indispensablement l'existence de la mémoire où l'image du vécu puisse s'accumuler.

 

Mais où donc se place cette mémoire ? Comment le vécu s'y accumule-t-il ? Quelle est l'essence de cette accumulation ?

Pour répondre à ces cruciales questions, il faut inverser le regard : qu'est-ce donc que le temps sinon la mesure de cette accumulation de vécu ? La notion de temps relève non d'un temps en soi, absolu et préalable, dimension vide où les phénomènes se passent, mais bien d'un temps comme mesure de ce qui se passe. Bergson avait bien établi la différence incontournable entre le temps mécanique qui mesure les durées, et le vécu organique qui engendre ces durées.

S'il ne se passe rien, le temps n'existe plus : il y a du temps parce qu'il y a de l'évolution dont ce temps mesure l'avancement.

 

Il faut donc en venir à la conclusion de cette méditation sur la mémoire et sur le temps : la mémoire est réelle alors que le temps est artificiel. Seule la mémoire, parce qu'elle s'accumule, fait substance. Le temps se contente d'en mesurer l'accumulation. Pour le dire en raccourci : le temps ne passe pas, il s'accumule !

 

Et de cette conception, une conséquence énorme jaillit : le passé inactif continue d'exister intégralement et réellement sous le présent actif qui, couche après couche, engendre un nouveau présent qui remplace l'ancien présent en s'y superposant. Une métaphore puissante, en ce sens, est celle de la croissance d'un arbre dont chaque cerne annuel vient se superposer au cerne précédent qui, lui, va augmenter le bois inactif accumulé sous la mince couche périphérique de cambium actif. Les cellules cellulosiques meurent, mais se remplissent alors de lignine pour former le bois s'accumulant sous le cambium vivant qui, lui, produit de nouvelles cellules vivantes.

 

Récapitulons. Le Réel est constitué d'une mince couche périphérique active appelée le présent sous laquelle s'accumule, couche après couche, la mémoire du passé qui, quoique devenu inactif, reste complètement et intégralement réel sous la réalité du présent. Quant au futur, il est potentiel et virtuel, mais il n'est pas réel ; il n'existe donc pas.

 

Cette mémoire éternelle et définitive, immuable et ineffaçable, substantialisée n'est rien d'autre que le "bois" de l'arbre du Réel dont le présent actif est la cambium.

Ceci étant posé, puisque "l'intérieur du présent" contient le tout de ce qui est advenu et devenu par le passé, chaque processus (et un existence personnelle humaine en est un) possède "sous lui" la trace intégrale de son parcours dont on peut se souvenir (faire venir du dessous) et se rappeler (appeler à nouveau dans l'activité du présent pour s'en servir).

 

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