Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Êtes-vous pour la Décroissance ?

Voilà bien une question que l'on me pose sans cesse à l'issue de certaines de mes conférences. Il faut y répondre clairement.

 

Décroissance ? Avant d'y répondre, il faut clarifier : de quelle décroissance parle-t-on ? Qu'est-ce qui doit décroître ?

 

Si c'est la population humaine sur Terre qui doit décroître, il n'y a aucun doute : la démographie doit décroître d'urgence pour revenir à environ deux milliards d'humains. Pourquoi ? Parce que toutes les ressources non renouvelables seront bientôt inaccessibles ou épuisées et que les ressources renouvelables n'autorisent pas un population supérieure pour permettre un niveau de vie durable ne serait-ce que décent – et bien inférieur à notre niveau de vie européen actuel.

Si c'est le prélèvement des ressources naturelles non renouvelables qui doit décroître, il n'y a non plus aucun doute : quatre-vingt pourcents des réserves de ces ressources que la Nature a mis des milliards d'années à fabriquer et engranger, ont été consommées en moins de deux siècles.

Or, le sacro-saint principe de la croissance "indispensable" (pour qui ?) du PIB[1] implique nécessairement qu'il y ait plus de consommateurs et que chacun consomme toujours plus.

Il y a donc contradiction fondamentale entre croissance du PIB et survie de l'humanité. Et les technologies, actuelles et futures, n'y changeront rien car les technologies déplacent les problèmes de ressources, mais ne peuvent jamais les résoudre (on ne crée jamais quelque chose à partir de rien : on transforme ce qui existe et, de plus, toute production détruit toujours plus qu'elle ne produit) : les lois de la physique et de la thermodynamique n'autorisent ni exception, ni miracle.

 

Si l'on en reste là, les mouvances et mouvements pour le Décroissance auraient raison : il est vital que l'humanité entre en Décroissance rapide quant à sa démographie et quant à sa consommation matérielle.

Mais il faut aller plus loin. Faut-il, en tout, rechercher le "toujours moins" ? Pas si l'on médite ma définition de la frugalité : moins mais mieux ! Moins en quantité ? Oui, c'est indiscutablement indispensable. Mais pas "moins en qualité" c'est-à-dire "mieux" !

De quoi avons-nous le plus besoin ? De richesse matérielle ou de joie de vivre ?

Les sociologues le démontrent à l'envi, au-delà d'un seuil très bas, il n'y a plus aucune corrélation entre richesse matérielle et bonheur existentiel. La sagesse populaire le sait depuis toujours : l'argent ne fait pas le bonheur … pourvu que l'on gagne un minimum vite atteint (dans nos pays de vie chère, ce minimum vital correspond à moins de dix euros par jour et par personne). De plus, c'est avéré, le taux de suicide, d'overdose, d'addiction, de dépression nerveuse, de démence maniaco-dépressive, … est bien plus élevé chez les populations riches qu'ailleurs.

Le problème n'est donc pas la richesse matérielle quoiqu'en disent les marchands d'endettement qui veulent que les entreprises s'endettent pour investir et grandir (grandir pour quoi faire ?), que les Etats s'endettent pour financer des gros projets et toujours plus d'assistanats, que les ménages s'endettent pour consommer toujours plus de tout.

Cessons d'écouter le chant délétère des marchands d'endettement et de leurs valets économistes.

Moins de quantité de consommation et plus de qualité de vie : voilà la seule politique socioéconomique possible.

 

Donc : décroissance quantitative mais croissance qualitative. Décroissance matérielle et démographique mais croissance existentielle et eudémonique[2].

Consommer moins, mais vivre mieux c'est-à-dire vivre une vie remplie de sens et de joies.

Et cela change tout !

 

Prenons un peu de hauteur …

En inaugurant l'avènement de l'Esprit comme émergence de la Vie et de la Matière, c'est-à-dire de la Nature, l'humanité prolonge la Nature tout en bifurquant d'avec elle. Deux questions, dès lors se posent : celle des rapports de l'humanité avec elle-même et celle des rapports entre l'humanité et la Nature - sachant que l'humanité, appartenant à la fois à la Matière et à la Vie, ne peut survivre sans que la Nature la soutienne, la porte et la nourrisse.

Aujourd'hui, l'humanité est en rupture sous ces deux rapports. Elle saccage et pille la Nature au service de ses caprices consommatoires et, ce faisant, elle se suicide à assez court terme. Ses rapports à elle-même sont radicalement viciés faute de n'obéir qu'à la cupidité et à la jalousie.

Il n'y aura aucun avenir pour l'humanité sur Terre si ses rapports à la Nature ne sont pas assujetti à une Frugalité stricte et minimaliste, et si ses rapports à elle-même ne sont pas nourri d'une Spiritualité puissante et verticale.

Une Frugalité sans Spiritualité n'est pas tenable ; une Spiritualité sans Frugalité n'est pas crédible.

Il faut donc combattre, de toute urgence et avec toutes les énergies, le "système" de la modernité qui sévit encore actuellement et qui est fondé sur l'économisme : l'anti-frugalité absolue, et sur l'idéologisme : l'anti-spiritualité radicale.

 

Plus concrètement ?

Ne plus jouer le jeu débile de la consommation. Renoncer à la modernité et à ses leurres et artifices. Saborder toutes les dimensions de la société du spectacle. Dénoncer toutes les marchandisations, tous les mercantilismes. Détruire le mythe de l'argent-roi et de l'argent-facile et condamner ses valets. Cultiver, en tout, la proximité (n'allez pas ailleurs et n'importez rien). Abroger tous les vices de la modernité : V pour les vices comme pour la ville, la voiture, le voyage, les vacances, la vulgarité, le vacarme, la vanité, le vedettariat, la vénalité, la vassalité, la violence, la vitesse …


Marc Halévy, 4 mai 2014.


[1] On oublie toujours de dire que, la seule chose qui importe, le PIB mondial par humain, ne cesse de ralentir depuis un quart de siècle et a commencé à diminuer.

[2] Eudémonique : qui concerne le bonheur et la joie de vivre.