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Prospective : réponses à François Lenglet

Mes commentaires et réponse à une interview du journaliste français François Lenglet au journal belge "La Libre Belgique".

FL au journal "La Libre Belgique" : "Sur quels éléments vous basez-vous pour prédire la fin de la mondialisation ?

La mondialisation n'est pas du tout inéluctable, inexorable. Lorsqu'on regarde les cycles économiques, l'on s'aperçoit qu'elle a parfois progressé et parfois régressé. Ces cycles se confondent généralement - et de manière spontanée - avec les politiques davantage libérales (mondialisation) ou moins libérales (démondialisation). Plusieurs raisons laissent à penser qu’on est à un moment de retournement et à la fin d’un cycle libéral, à commencer par la crise qu’on traverse et qui n’est sans doute pas terminée. Cette crise a montré les insuffisances du libéralisme et du laisser-faire économique et financier."

MH à FL : Confusion coupable entre la globalisation des problématiques et de leurs solutions (démographie, climat, raréfaction des ressources, pandémies, pollutions, guerres), mondialisation des cyberespaces (et de la circulation, des stockages et traitement des informations, idées et connaissances), l'américanisation de certaines pratiques et modèles (finance, fastfood, cinéma, obsession de l'argent, etc …), la continentalisation macroéconomique (monnaie, marchés, financement, commercialisation) et la relocalisation microéconomique (économie et travail de proximité, non transport des masses pondérales, etc …).

Les grands cycles économiques, les évolutions des mondialisations et les idéologies politico-économiques n'ont aucune corrélation entre eux.

"Le secteur financier a-t-il tiré quelques leçons de la crise ?

Absolument pas ! En réalité, la punition n’a pas été assez forte. Je pense qu’on va avoir une réplique de cette crise, une deuxième vague vu l’excès de l’endettement, qui va nous conduire vers un monde davantage réglementé. Dans la zone euro, l’on assiste aussi à de nombreuses renationalisations d’institutions financières. Mais ces renationalisations se sont faites contre la volonté du secteur, notamment à cause de la crise de l’euro. Quant à la régulation, il n’y a absolument rien qui a été fait. Au contraire, le niveau de la dette (privée et publique) a progressé de 30% depuis le début de la crise."

MH : Oui, le monde de la finance n'a absolument pas pris sa leçon et continue ses délires de plus belle, croyant que les Etats viendront encore et toujours à son secours. C'est là le leurre. Les Etats et les Banques centrales n'ont plus un kopeck et la prochaine crise financière (celle de l'endettement souverain ou des CDS, etc …) sera fatale et nous débarrassera, enfin, une fois pour toute, de ce chancre cancéreux virulent qu'est la spéculation financière. Il faudra aussi bien observer et comprendre ce qui sera l'explosion, à grande échelle, des émissions de monnaies privées pour palier les carences des monnaies légales.

"Par conséquent, la crise devrait se poursuivre…

De toute façon, ce n’est pas fini. En Europe, on a juste mis la poussière sous le tapis. On va très probablement retomber dans un nouvel épisode de surendettement. Même si personne ne peut le dater avec précision, il se produira sans doute dans les 3 ans qui viennent. On peut imaginer que la deuxième sera la bonne et qu’on prendra les mesures pour limiter les mouvements de capitaux transfrontaliers qui sont extrêmement déstabilisants. Ceux-ci accélèrent les cycles, mais réduisent la croissance"

MH : Ce qui est exact, c'est que la sortie des immenses turbulences socioéconomiques liées à la mutation paradigmatique en cours, n'est pas possible avant, au moins 2020 (voir mon "L'Après-Modernité - Prospective 2015-2025" chez Dangles - à paraître à la mi-octobre). Par contre, les espoirs monétaristes de Lenglet sont infantiles. Le "salut" ne viendra pas de nouvelles réglementations monétaristes, mais bien d'un changement radical de toutes nos habitudes consommatoires, productives, comportementales et éthiques vers plus de frugalité, plus de simplicité, etc …

"En d’autres termes, il faudrait profiter du répit actuel pour prendre des mesures…

Face à la crise qu’on a traversée, rien n’est résolu ! On a juste colmaté les brèches du Concordia. Alors qu’on est dans une phase froide de la crise, je crains qu’il faille attendre d’être dans une phase chaude pour que des mesures soient prises. En toute logique, on devrait en profiter pour mettre un drap par terre, démonter le moteur afin de le remonter de manière plus efficace."

MH : Quelles mesures ? Le problème est que les institutions de pouvoir actuelles n'ont aucune intention de changer les règles d'un jeu socioéconomique qui est, à la fois, leur fonds de commerce et leur champ de prébendes. Les moteurs de l'ancienne logique ne veulent pas d'une nouvelle logique : le changement ne viendra donc pas "top-down" mais bien "bottom-up". La métaphore mécanique finale démontre, s'il le fallait encore, que ce monsieur n'a parfaitement RIEN compris.

"Votre analyse sur ce changement de cycle donne du crédit à Arnaud Montebourg qui avait annoncé vouloir ‘démondialiser le monde’, non ?

Je ne connais pas les détails de sa thèse. Mais il ne s’agit pas de démondialiser quoi que ce soit, ce sont des mouvements impulsés par des sociétés. Cela ne peut aucunement être encouragé par des décrets gouvernementaux, je n’en tire d’ailleurs aucune conclusion sur les politiques à tenir. J’observe seulement qu’on est face à un retournement. Regardez les nombreuses réactions à travers le monde, comme au Brésil. Il est évident que les gens cherchent à se protéger face à la mondialisation. Même s’ils en ont retiré des avantages substantiels, ils en ressentent également les limites et les coûts."

MH : Evidemment, lorsqu'on construit toute son analyse sur une illusion mal définie (cfr. ma première remarque ci-dessus), on arrive à ne plus rien voir. Le débat sous-jacent, ici, est celui du protectionnisme, ce vieux réflexe américain (et brésilien) qui a permis, récemment, de faire croire à une relance industrielle de l'économie américaine, alors qu'il ne s'agissait que d'effets d'annonces spéculatives (sur cette ânerie de gaz de schiste, par exemple) et de relocalisations en chaîne suite aux énormes taxes à l'importation décrétées par Obama.

Quant à Montebourg … !

"François Hollande avait promis une reprise avant la fin de l’année. Cela semble se confirmer…

Si on veut tirer un feu d’artifices parce qu’on est à 0.5 ou 0.7% de croissance, on peut. Mais la population française augmente de ce même rythme chaque année. Donc, en réalité, le PIB par tête est à zéro, et même en chute de 3 à 4% depuis 2007. Je ne vois pas encore les mesures qui permettraient de redresser la situation. Cela vaut d’ailleurs aussi pour la Wallonie, qui s’apparente davantage à la France. C’est moins le cas pour la Flandre qui est davantage compétitive. On retrouve en Belgique un raccourci des problèmes européens, avec un Nord et un Sud. Pour le Nord, l’euro est sous-évaluée par rapport à sa compétitivité, ce qui lui permet de bien fonctionner, comme l’Allemagne, la Flandre, l’Autriche et la Finlande. A l’inverse, au Sud - dont la France et la Wallonie, mais aussi l'Espagne et la Grèce – on a une monnaie qui est surévaluée et qui handicape considérablement la croissance."

MH : Il n'y a aucune reprise de l'économie réelle car elle continue de se délabrer partout dans le monde ; il y a seulement quelques effets d'annonces suivis de quelques gains spéculatifs. De plus, la croissance du PIB n'est pas possible à long terme et n'est pas souhaitable à court terme. La croissance démographique et la raréfaction des ressources se conjoignent pour démontrer le caractère suicidaire de toute croissance (rappel : le PIB/humain ne cesse de décroître depuis 20 ans). Quant au lien entre surévaluation et sous-évaluation monétaires et "croissance", ce ne sont que des phantasmes monétaristes en périodes de grandes turbulences.

"Avant l’euro, ces Etats pouvaient dévaluer leurs monnaies…

Ce n’est plus possible, alors on s’est endetté ! En Belgique et en France, vu qu’on ne peut plus ni dévaluer sa monnaie, ni s’endetter, on doit travailler sur notre compétitivité. Comment ? En diminuant le coût du travail ou en faisant monter en gamme nos productions. C’est le seul outil qu’il nous reste. C’est difficile et cela prend du temps. Je ne sais pas si on y arrivera avant que le chômage soit à un niveau épouvantable."

MH : S'endetter, c'est s'appauvrir. Le problème n'est pas monétariste. Le problème est que tout le monde a pris la mauvaise habitude de vivre au-dessus de ses moyens avec de l'argent que personne ne possède plus. C'est le règne de la planche à billet (américaine) et des pillards de ressources (naturelles comme le Brésil et la Russie, et humaines comme la Chine et l'Inde). Quant aux notions de "compétitivité"" et de chômage" , ce ne sont pas des paramètres économiques réels (le chômage relève d'une définition administrative, pas d'un état réel, et la compétitivité adresse un benchmarking sur les prix de revient, mais jamais sur la qualité réelle ni sur la valeur d'usage réelle des biens produits), mais des phantasmes idéologiques (PIB, plein-emploi, prospérité, balance commerciale, etc …).

"Pourquoi pensez-vous qu’on va prochainement assister à une ‘crise chinoise’, alors qu’aujourd’hui encore, ce pays connaît une croissance à 2 chiffres ?

Si le calendrier est imprévisible, les tendances de fond sont claires. Comme l’Europe et les Etats-Unis, la Chine a sur-vitaminé sa croissance avec un endettement qui n’est pas soutenable. Cela se voit moins, car ils sont plus malins et n’ont pas une économie de marché. L’Etat contrôle les leviers, truande les chiffres, redresse les indicateurs,… En réalité, ceux qui suivent cela sérieusement vous expliquent que la dette a été gagée avec l’évolution des prix des terrains… C’est un peu comme les subprimes, mais comparé au PIB, c’est même beaucoup plus important qu’aux Etats-Unis."

MH : La Chine n'est, à elle seule, qu'une immense crise depuis plus d'un siècle dont les faux chiffres ne peuvent pas masquer la déliquescence intérieure. Le "miracle" chinois n'est que du pillage de main d'œuvre qui ne profite qu'à l''Etat et dont les miettes ne retombent (à profusion, j'en conviens) que dans les poches de quelques apparatchiks aussi démentiels que débiles (des ressortissants de la politique de l'enfant unique qui sont des malades mentaux, narcissiques et nombrilistes, capricieux et infantiles - comme ce psychopathe de Kim-Jong-un en Corée du nord).

"Donc une ‘crise chinoise’ est inéluctable ?

Clairement, la Chine a rendez-vous avec le bon sens. La réalité va finir par frapper au carreau discrètement, puis bruyamment… avant de faire péter le carreau. On ne peut pas financer la croissance par un endettement perpétuel. Cela n’est pas possible ! Cela a maintes fois été démontré par le passé."

MH : La Chine est entrainée dans un vaste mouvement d'effondrement qui va aboutir à l'implosion du système maoïste et à la prise d'autonomie politique et économique des diverses régions et ethnies et cultures et langues au sein de la Chine. Le Dalaï Lama l'a très bien compris, lui qui prépare son retour au Tibet.

Marc Halévy, 25/9/2013