Point de vue sur le management
1. Quelles évolutions majeures de la société viendront de votre point de vue impacter le plus le management des organisations et des hommes ?
Nous vivons une mutation paradigmatique majeure comme ce fut le cas à la Renaissance ou lors de la chute de l'Empire romain. Cinq ruptures essentielles sont à l'œuvre sous nos yeux :
− La révolution écologique qui nous fait entrer dans une logique de pénurie définitive et irréversible sur toutes les ressources naturelles ;
− La révolution numérique qui, bien loin des gadgets californiens aussi ludiques qu'inutiles, a remodelé complètement l'usage de notre esprit, nos accès à la connaissance et à l'information, nos modes de communication, et la répartition du travail entre hommes et machines ;
− La révolution organisationnelle qui prend acte que les modèles pyramidaux hiérarchiques sont devenus beaucoup trop lents et lourds face à un monde toujours plus complexe, rapide, exigeant et volatil, et qui voit monter en puissance des organisations en réseaux collaboratifs ;
− La révolution économique qui constate l'absurdité mortifère de la finance spéculative, du gigantisme industriel, de la guerre des prix toujours plus bas et de la baisse générale de la qualité de tout (de la vie, en particulier), et qui prône une économie de niches, de proximité, de l'utilisabilité maximale, de la valeur d'usage, de la virtuosité, de la fonctionnalité, de l'intelligence et des savoir-faire de haut niveau ;
− La révolution éthique qui fait abandonner les philosophies du "réussir DANS la vie" qu'elle remplace par des philosophies du "réussir LA Vie" axée sur l'intériorité, la frugalité, la simplicité, la spiritualité et la joie de vivre
2. Quelles seront d’après vous les conséquences de ces évolutions sur le management des organisations et des hommes ?
La révolution écologique implique une raréfaction généralisée des ressources naturelles et la hausse spectaculaire de leurs prix ; il en résultera une généralisation du principe d'économie et de proximité (hausse des prix des carburants oblige) ce qui implique un éparpillement des lieux de travail, le télétravail, la fin du salariat (donc du droit du travail et des syndicats) : chacun se réappropriera son propre fonds de commerce fait de talents, de connaissances, d'expériences et de savoir-faire.
La révolution numérique implique d'apprendre à se libérer des technologies qui doivent impérativement rester des esclaves dociles des intelligences humaines. Si la 20ème siècle fut le siècle des technologies (qui stagnent, en réalité, depuis 30 ans, voire régressent), le 21ème sera celui des méthodologies : le siècle du bon usage des technologies, loin des effets d'annonce et de mode.
La révolution organisationnelle, en faisant des réseaux collaboratifs le modèle de base pour les communautés humaines, impose que le chef hiérarchique se mue en animateur charismatique. Le problème n'est plus seulement de détenir un pouvoir légitime ou de faire utilement autorité, mais d'être le porteur enthousiaste d'un projet, d'une passion et d'une aventure collectives.
La révolution économique transmute à peu près tout dans la logique des entreprises qui viseront les patrimoines à long terme (pérennité) et non plus les revenus à court terme (rentabilité), qui viseront la croissance qualitative et non plus quantitative, qui viseront la virtuosité et les marges plus que les gains de productivité et les croissances de chiffre d'affaire, qui viseront la satisfaction durable des utilisateurs finaux plus que le confort des actionnaires ou les lubies des intermédiaires, etc.
La révolution éthique, enfin, impose au dirigeant d'être un constructeur de sens et de valeur. La question n'est plus "comment le faire ?", mais bien "pour quoi le faire ?". Il s'agit de donner, à chaque collaborateur, une bonne raison de bien faire ce qu'il a à faire ; de lui donner les moyens d'être fier de ce qu'il fait chaque jour. La question de la finalité sera au cœur du réel vécu de chacun.