Thermodynamique humaine et économie
L'économie est une vaste machine à concentrer et à distribuer de la néguentropie (de l'organisation, de la forme, de la structure, de la régulation, etc ….) afin d'alimenter la vie humaine contre la déchéance entropique (la désagrégation, la décomposition, la mort, le désordre, etc …). Pour concentrer et distribuer de la néguentropie, il faut beaucoup d'énergie. Pour soutenir une croissance économique portée par une croissance démographique folle, il faut donc de plus en plus d'énergie concentrée. L'économie ne "tient" que par l'énergie concentrée, et l'énergie concentrée se raréfie à toute allure.
Il n'y a que trois solutions : bousiller la planète pour extraire des énergies de plus en plus inaccessibles, comme le gaz de schiste et autres saloperies, envahir militairement les territoires de gisements, et faire tourner la planche à billets pour acheter les réserves des autres qui espèrent pouvoir acheter quelque chose avec ces monnaies qui ne valent déjà plus rien.
Immense fuite en avant vers le mur infranchissable de l'impasse.
L'économie est une vaste machine à concentrer et à distribuer de la néguentropie, disions-nous.
Pour concentrer de la néguentropie, il faut transformer de l'énergie stockée (du carburant) en énergie libre (de la chaleur) ; c'est le second principe de la thermodynamique. Or, la quantité d'énergie totale disponible est fixe et constante dans ce système fermé qu'est le binaire Soleil-Terre ; c'est le premier principe de la thermodynamique.
Le stockage d'énergie prisonnière est le fait de structures matérielles qui captent de l'énergie libre et la transforme en énergie de liaison entre leurs composants (liaison des hadrons dans le noyau atomique, liaison des atomes dans les molécules, liaison des atomes dans les cristaux, etc …).
Les premières de ces structures sont les noyaux atomiques forgés dans le magma plasmique de l'immense réacteur solaire qui, dans ses phases de jeunesse, les expulsa en masses gazeuses énormes, masses qui, peu à peu, par coagulation gravifique et structuration progressive interne, ont formé les planètes et tout ce qu'elles contiennent (y compris l'uranium).
Les deuxièmes structures sont les cycles de flux induit par la chaleur solaire sur Terre : les cycles des pluies (énergie hydroélectrique), des vents (énergie éolienne), des courants marins.
Les troisièmes structures sont le fait de la capture chlorophyllienne de la lumière solaire dans les végétaux qui produisirent la quasi-totalité des carburants utilisés par l'homme : le bois, le charbon (qui est du bois carbonifère "momifié") et les hydrocarbures (qui sont le produit d'une désagrégation anaérobie de forêts englouties).
Il faut ici déjà tirer trois conclusions :
- Toutes les formes d'énergie concentrée (stockée) proviennent de l'activité solaire : ni la Terre, ni l'homme ne sont aptes à générer un tel stockage. L'homme, comme tous les animaux, est un parasite énergétique.
- Tous les processus de stockage naturel de l'énergie sont des processus très longs et à très faible rendement (transformer une forêt en pétrole prend plusieurs centaines de millions d'années).
- Toute forme d'énergie stockée est, par essence, rare et précieuse.
L'économie concentre de la néguentropie, c'est-à-dire de la complexité. Par exemple : la terre, la pluie et la lumière solaire se transforment en herbe, l'herbe broutée, par métabolisme animal, se transforme en agneau, l'agneau par travail humain, se transforme en viande et cette viande, par un autre travail humain, se transforme en navarin qui deviendra de la chair de gourmet … qui retournera à la terre … qui nourrira l'herbe …
Tout au long de ce cycle, on voit la concentration néguentropique augmenter, puis s'effondrer dans la mort du gastronome et la décomposition de son cadavre.
Mais ce cycle ne se referme pas car il y a, tout au long, une enchaînement de rendements de transformation qui sont tous largement inférieur à un ; tout au long de ce cycle, on dégrade plus d'énergie que l'on ne produit de néguentropie pour, finalement, dégrader toute la néguentropie produite tout au long de l'existence.
Et plus on monte dans l'échelle des complexités (des fortes concentrations de néguentropie, donc), plus les rendements sont "mauvais". Par exemple, il faut dix-sept fois plus de ressources, au global, pour produire un kilo d'agneau que pour produire un kilo d'herbe. Pour survivre, chaque année, une vache doit brouter toute l'herbe d'un pré d'un hectare. Et lorsque la vache est à maturité, on l'abattra et seulement 30 à 40% de son poids total seront susceptibles d'être consommés par l'homme.
Dans le même registre, il faut cinquante années pour qu'un gland donne un chêne adulte.
D'où tout cela provient-il ? Des lois de la thermodynamique qui, qu'on le veuille ou non, s'appliquent, sans écart ni exception possibles, aux activités économiques humaines comme à tout le reste. Il n'y a jamais de miracle en physique. Tout se paie un jour ou l'autre, maintenant ou plus tard, ici ou ailleurs. La seul talent de la technologie est que ce prix à payer soit payé plus tard (par nos petits-enfants) et/ou ailleurs (par d'autres peuplades où tout devient désert, famine et pauvreté).
Mais revenons à la thermodynamique …
Pour concentrer de la néguentropie et, ainsi, produire de la valeur d'usage (de la forme, de l'organisation, de la qualité, de la structure, de la régulation, des matériaux, des êtres vivants, des sociétés, des informations, etc …), il faut transformer de l'énergie concentrée et stockée (des carburants au sens le plus large) en énergie libre et diluée (de la chaleur). On dit alors que l'on consomme de l'énergie, ce qui, physiquement, est faux : on ne consomme pas - ni ne crée - de l'énergie, on la transforme en en dégradant la qualité (la qualité d'un carburant énergétique est d'ailleurs aussi une forme de concentration néguentropique). Mais la quantité totale d'énergie reste parfaitement constante (premier principe de la thermodynamique).
Toute transformation économique revient, au fond, à un transfert de néguentropie : en le dégradant, on prend la néguentropie piégée dans le carburant pour créer de la néguentropie utile.
Le problème crucial que peu de gens semblent comprendre, est qu'il faut détruire beaucoup de néguentropie stockée dans les carburants, pour produire un peu de néguentropie dans les produit d'usage. Le rapport des deux néguentropies (celle que l'on crée dans le produit d'usage divisée par celle que l'on prend au carburant) s'appelle le rendement de la transformation et celui-ci est toujours largement inférieur à l'unité. C'est cela le fameux second principe de la thermodynamique.
Il n'existe aucun cycle de transformation qui soit fermé : le mouvement perpétuel est aussi impossible que la quadrature du cercle. Il faut que cessent les âneries que l'on raconte à ce sujet.
Un rendement que l'on présente comme égal à un (ce qui est le credo des imbéciles qui croient en la croissance infinie dans un monde fini) est toujours un rendement faussé où l'on ne tient pas compte des carburants "gratuits" ou des carburants "cachés". Je m'explique. Lorsque le forgeron forge un soc de charrue et que l'on fait le bilan de son travail (le carburant de ces muscles fatigués, le carburant du charbon brûlé dans la forge, etc …), on "oublie" l'oxygène de l'air que la forge et ses poumons ont transformé en dioxyde de carbone, on "oublie" que le bloc de fer brut qu'il forge a été extrait, à grande fatigue, dans les mines, puis fondu à très haute température, puis purifié à grands frais, on "oublie" que sa forge même, son soufflet, son enclume, son maillet et ses pinces ont dû être fabriqués par d'autres artisans qui, pour ce faire, ont consommé quantité de carburants et de matériaux divers qui, eux-mêmes, ont dû être produits.
Quand on dit que le rendement énergétique de ces absurdes méga-éoliennes qui défigurent nos paysages, est de 17%, on ne tient pas compte des carburants consommés pour la préparation de ses matériaux constitutifs, pour sa construction, pour ses entretiens, maintenances et réparations, pour son démantèlement, pour son recyclage, etc …Si l'on tenait compte de tout cela, on découvrirait (ces calculs ont été faits et refaits maintes fois) que ces éoliennes produisent moins, sur l'ensemble de leur vie, que l'on a consommé pour elles. Le rendement, ici, est donc négatif. Il en va de même pour les capteurs solaires photovoltaïques et pour les centrales nucléaires. Encore une fois, en physique, il n'y a jamais de miracles. Tout se paie.
Si l'on ajoute à tout cela le fait que la démographie humaine connaît une croissance démentielle et absurde, et que l'appétence consommatoire moyenne croît également très vite (et cela est voulu par l'idéologie moderniste et entretenu par la propagande cinématographique et télévisuelle), on comprend qu'il faudrait produire de plus en plus de valeurs d'usage - même de mauvaise qualité - et donc concentrer de plus en plus de néguentropie économique, et donc dégrader de plus en plus de néguentropie naturelle (celle des carburants qui tous, proviennent du soleil, rappelons-le ; soleil qui, lui, engendre un flux fixe, donné et limité).
Appelons "énergie fossile" toutes les énergies stockées dans les matériaux accumulés, au fil des âges, dans la Terre (uranium, charbon, hydrocarbures, etc …) et constatons qu'elles sont non renouvelables et, par suite, au fil de leur usage, appelées à être de moins en moins accessibles : lorsque la quantité de carburant utilisée pour les extraire devient égale ou supérieure à la quantité de carburant extraite, le processus s'arrête de lui-même. C'est le cas, en ce moment-même, avec le gaz de schiste et autres saloperies du même acabit dont les rendements d'extraction ne paraissent positifs que si l'on omet toutes les ressources consommées mais "cachées" ou "gratuites", et tous leurs immenses dégâts collatéraux qu'il faudra bien, aussi, payer un jour.
Les énergies fossiles sont donc appelées à disparaître, un jour ou l'autre, du cycle économique. Dans moins d'un siècle ! Tous les gisements facilement accessibles sont connus et en voie d'épuisement (80% de leur contenu a été consommé en moins de 150 ans), et les nouveaux gisements "découverts" sont de plus en plus minuscules et de plus en plus inaccessibles : le coût énergétique d'extraction est proche d'être égal à la valeur extraite. Ils n'en valent pas la peine … sauf à faire la une des journaux pour faire croire que le miracle et la croissance infinie sont possibles.
Il reste donc les énergies "vivantes" qui, par les cycles de flux (éoliens, marins, pluviaux) ou le cycle chlorophyllien, proviennent de la transformation de la lumière ou de la chaleur solaire en néguentropie utilisable par l'homme. Ces énergies "vivantes" sont les seules sur lesquelles l'humanité pourra compter dans moins d'un siècle ; c'est dire qu'elles forgeront le monde dans lequel devront vivre nos petits-enfants et arrière-petits-enfants (c'est demain matin, donc).
Pour tous ces cycles-là, la technologie tant mécanique que biotique peut jouer un rôle dans l'amélioration des rendements de transformation. Mais, encore une fois, attention à ne pas omettre les ressources "cachées" ou "gratuites", ni les dégâts collatéraux dans les équations. Rappelons aussi que ce qui est omis dans ces équations aujourd'hui, sera payé, au prix fort, ailleurs (par d'autres qui nous feront la guerre un jour ou l'autre, comme l'islamisme aujourd'hui) ou plus tard (par nos descendants qui nous haïront du plus profond de leur âme).
Mais la technologie aussi a ses limites. En s'améliorant, elle peut certes augmenter un peu les rendements des transformations néguentropiques utiles, mais (et là encore c'est l'incontournable et irréfragable loi thermodynamique qui parle) ces rendements améliorés ne pourront jamais dépassé le rendement théorique maximal qui est appelé "rendement de Carnot" et qui reste toujours très inférieur à l'unité. Il n'y a jamais de miracle.
Les développements technologiques pourront nous faire approcher du rendement de Carnot, mais à quel prix ? La prudence, ici aussi, s'impose. Ainsi, par exemple, on peut améliorer (un peu, il n'y a pas de miracle) le rendement des transformations chlorophylliennes en passant par des végétaux OGM ; mais il faut alors mettre en place de très coûteuses (en ressources) défenses contre l'envahissement des espèces naturelles par ces prédateurs de vie que sont les OGM. Si les "miracles" génétiques étaient possibles, souhaitables et sans dégâts sur les grands équilibres, il y a longtemps que la Nature les auraient inventés et mis en place. La Nature est bien plus fine biotechnicienne que tous les ingénieurs humains réunis ; ne l'oublions jamais.
Répétons-le une dernière fois, dans la monde réel, il n'y a jamais de miracle. Il n'y a que les idéologies qui peuvent ou veulent croire en ces coquecigrues ridicules ! Et manipuler le monde des hommes pour que ceux-ci restent cois, occupés à s'empiffrer de l'inutile et du futile, vendus par les marchands de vanités et financés par les marchands d'endettements, et tout cela pour en enrichir quelques uns qui se fichent comme d'une guigne de l'avenir de l'humanité et de la planète. Ils ont la politique, la presse et la finance à leur botte ; mais ils oublient qu'aucun linceul n'a de poches.
Il faut que cesse d'urgence cette mythologie absurde de la croissance sans fin et de la technologie salvatrice. L'heure est à une double décroissance, indispensable et vitale : la décroissance matérielle (mais non celle de l'abondance et de la prospérité existentielles) et la décroissance démographique. Si nous, les hommes, ne nous en chargeons pas et ne prenons pas nos responsabilités, la Nature s'en chargera à notre place, froidement et aveuglément, avec son cortège de famines et de pandémies (Ebola en est l'exemple d'actualité), avec les guerres pour les ressources devenues rares qui s'ensuivront et qui commencent déjà à grande échelle (guerres islamistes, américaines, russes : les trois régions où les stocks naturels sont quasiment épuisés aujourd'hui).
Marc Halévy, 17 août 2014.