Le but de la science
Pour reprendre une image de Platon ou de Ruyer, la relation qui existe entre le Réel et sa perception/représentation humaine, est bien évoquée par la relation qu'il y a entre la connaissance théorique d'un corps réel et la description empirique de son ombre perçue, seul objet de nos observations et expérimentations humaines.
Bien sûr, une part de l'aspect extérieur du corps peut être reconstituée à partir de l'étude détaillée de l'ombre, moyennant la maîtrise de la géométrie descriptive des projections.
Cette géométrie, métaphoriquement, symbolise, bien sûr, toutes les techniques et tous les langages de modélisation qui permettent d'intégrer toutes les données empiriques dans un seul modèle théorique.
Le fait que la science procède par projection "extérieure" (avec diminution du nombre des dimensions) explique la nécessité du recours aux approches mécaniques et analytiques. Puisque l'ombre ne parle que de l'extériorité du corps, pour en explorer l'intériorité, il faut démonter ce corps et faire subir à ses composants les mêmes techniques de projections. Une fois encore, les ombres des composants ne parlerons que de leur extériorité. Il faudra donc, à nouveau, les démonter et décomposer, etc …
On comprend alors qu'implicitement, toute cette démarche repose sur l'idée essentielle -mais fausse - que le corps initial est la juste somme de ses composants, que le tout est bien la somme exacte de ses parties et que les procédés de démontage et de décomposition n'ont pas fait disparaître des composants essentiels, mais intangibles … ou transparents, sans ombre.
Mais l'image va bien plus loin car ce corps, dont on essaie de décrire l'aspect à partir de son ombre, n'est lui-même qu'une coupe temporelle d'un processus qui se déploie selon un destin qui lui est propre ; destin qui n'est, lui-même, qu'une manifestation particulière d'une logique universelle.
La séquence complète du cheminement de la connaissance est, ainsi :
ombre à corps à processus à logique universelle.
La science classique ne considère que le premier maillon : ombre à corps, laissant la suite de la chaîne quasi à l'abandon … ou aux mains des métaphysiciens.
Le problème de fond de la science n'est pas de reconstituer l'image complète du corps à partir de ses ombres diverses, naturelles ou expérimentales, (et des ombres de ses composants et sous-composants, et des ombres de ces ombres) aux moyens de diverses techniques et de divers langages de projection modélisante.
Le problème de fond de la science est de découvrir la teneur exacte de la logique universelle dont procède tous les processus, donc tous les corps, donc toutes les ombres, mais aussi toutes les géométries descriptives (puisque l'esprit du savant et les lumières qui produisent les ombres, participent intégralement du même processus cosmique que le corps étudié et son processus de déploiement). Ainsi posé, le problème de la science n'est plus la description de l'extériorité des choses, mais bien la compréhension directe de l'intériorité de toute chose.
Marc Halévy, 6 février 2015.
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