Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Les cinq axes universels

Comment évolue la réalité, la nôtre, celle du monde humain, celle de l'univers ? Vaste question mais les choses s'élucident, progressivement …

"Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" interrogeait Leibniz. Cette question est une aporie dont la seule réponse métaphysique possible est "il y a". Mais une autre question avoisine celle-ci : pourquoi tout dans le Réel évolue-t-il ? Pourquoi les choses ne restent-elles pas éternellement ce qu'elles sont, une bonne fois pour toute ? Autrement dit : pourquoi le Réel est-il un processus et non pas un objet ? La découverte de l'évolution universelle fut sans doute la plus grande innovation du 20ème siècle. Tout évolue. Rien n'est permanent et tout est impermanent. Il n'y a pas d'Être ; il n'y a que du Devenir.


Lamarck, à partir d'une intuition de Buffon observant des fossiles, montre que les espèces vivantes évoluent, que la Vie sur Terre va se complexifiant au travers d'espèces de plus en plus sophistiquées. Lamarck a un fan : Erasmus Darwin, le grand-père de Charles. Il forme son petit-fils et inspire un autre grand biologiste à qui la gloire injustifiée de Charles Darwin à fait beaucoup trop d'ombre : Alfred Russel Wallace. Le problème étudié, indépendamment l'un de l'autre, par ces deux biologistes (naturalistes, comme on disait alors) était celui du mécanisme de ces évolutions du Vivant. Charles Darwin développa la théorie de la sélection naturelle du plus apte qui n'est, on le sait aujourd'hui, qu'une des nombreuses formes que prend la régulation des espèces. Charles Darwin était mécaniste alors que Wallace ne l'était pas et avait compris, le premier, qu'il ne peut y avoir d'évolution sans  intention. Ce mot est crucial ; nous y reviendrons tout de suite. Mais avant, continuons à regarder l'histoire des sciences. En physique théorique, la constance de la vitesse de la lumière, démontrée par l'expérience de Michelson-Morlay, pose un problème majeur car elle est incompatible avec la physique de Galilée et de Newton. C'est Einstein qui résoudra ce problème en deux temps, avec la théorie de la relativité restreinte en 1905 et avec celle de la relativité générale en 1916. Les équations de la relativité généralisée montrait un paramètre d'évolution de l'univers. Einstein n'y crut pas et rejeta l'idée ("La plus grande erreur de ma vie", dira-t-il, bien plus tard). Elle fut cependant reprise par Alexander Friedmann en 1922 et par le chanoine Georges Lemaître en 1926. Ce fut le big-bang ! Ce modèle cosmologique montrait que l'univers était né il y a dix-sept milliards d'année et qu'il évoluait globalement par expansion (la gravitation étant le contre-effet de cette expansion). L'univers se crée de l'espace et du temps pour s'y déployer. L'espace et le temps ne sont pas des absolus indépendants de ce qu'ils contiennent ; ils sont relatifs à leur contenu et évoluent avec lui. Ainsi, il n'y avait pas que la Vie qui était en évolution permanente ; le grand Tout de l'univers, lui aussi, était en évolution.
Tout évolue ! Soit. Mais pourquoi et pour quoi ? Voilà la grande question depuis les années 1970 (avant, la question était -faussement - résolue d'office par la notion de hasard, cette grande poubelle de nos ignorances). On sait aujourd'hui que la notion de hasard n'est pas suffisante pour expliquer l'évolution. Il faut, en plus, une "volonté" que j'appelle, depuis longtemps, une "intention" immanente (étrangère donc à une quelconque "volonté divine" venue d'un Dieu personnel, extérieur et étranger à l'univers).

Il n'y a pas d'évolution complexifiante, s'il n'y a pas d'intention d'évoluer. Le hasard ne produit pas de complexité. Les mutations génétiques laissées au gré du seul hasard ne produisent que des montres ... ou rien. Pour le dire prosaïquement : qui ne cherche pas, ne trouve rien. Un univers sans intention ne produit pas de complexité.
Mais cette intention n'a rien de surnaturel ; elle est une propriété intrinsèque, inhérente à l'univers.
Deux questions se posent : quelle est cette intention ? que faut-il pour qu'une telle intention puisse se réaliser ?

Si l'on veut esquiver les piège de la théologie, pour répondre à la question de la nature profonde de l'intention universelle, il faut aller au plus simple : l'intention immanent du Réel est de réaliser tous les possibles qui se présentent (aussi par hasard). Cette intention (cette in-tension, cette tension intérieur) vise donc à l'accomplissement de tous les accomplissables.
L'intention universelle est l'accomplissement en plénitude de soi. Et comme chaque accomplissement partiel fait émerger de nouveaux possibles inédits et imprévisibles, le processus est sans fin.

Intention universelle, intrinsèque et immanente de l'accomplissement de soi en plénitude.
Mais quelle condition faut-il remplir pour que cette intention demeure fidèle à elle-même, au fil du temps, afin d'expliquer l'incroyable cohérence logique de l'univers ? Il faut de la mémoire ! Voilà le deuxième concept-clé : il ne peut pas y avoir d'évolution complexifiante s'il n'y a pas de mémoire dans l'univers. La théorie permet de montrer, d'ailleurs, que la matière est la mémoire universelle au long d'un processus d'accumulation du temps.
Une évolution n'est possible que s'il y a une bipolarité entre mémoire et intention. La mémoire, c'est tout ce qui est advenu ; et l'intention, c'est tout ce qui pourrait advenir.
Sans intention, il n'y arien à construire ; sans mémoire, il n'y a rien sur quoi construire.
Voilà le dipôle universel en place.

Au niveau microéconomique, ce dipôle est archi bien connu : l'intention, c'est le projet d'entreprise, et la mémoire, c'est son identité (tous les patrimoines matériels et immatériels accumulés au fil des ans).
Au niveau macroéconomique, les choses sont beaucoup moins claires ... et c'est bien cela un des problèmes majeurs de notre époque.

Ainsi, l'intention, c'est le futur, et la mémoire, c'est le passé.
Mais au présent que se passe-t-il ? Dans le présent, le processus d'évolution fait tout ce qui est possible pour réaliser son intention avec les matériaux que lui offre sa mémoire. I confronte ses potentialités internes avec les opportunités externes pour profiter de toutes les conjonctions favorables et pour éviter toutes les situations défavorables. Il n'y a pas d'autres fondements à toutes les lois, celles de la physique comme celles de la morale. Bien et mal, bon et mauvais, performant ou perdant se réduisent à cette simple équation du favorable et du défavorable vis-à-vis du projet de son intention et des matériaux de sa mémoire.
Que faut-il donc pour qu'un processus puisse évoluer ? Trois dimensions.
D'abord il faut des ressources que l'on puise de ses propres patrimoines ou que l'on extrait de son milieu. Ressources, donc.
Ensuite, il faut une organisation, c'est-à-dire une logique de travail, avec ses règles, ses modèles, ses normes, qui organise la mise en oeuvre des ressources au service de l'intention, du projet.
Enfin, il faut une activité, c'est-à-dire du travail proprement dit, de la production de flux, matériels ou immatériels.

Ainsi sont posés les cinq axes du modèle général qui permet de comprendre et de piloter un processus complexe. Récapitulons avec les mots précis.
Pour qu'un processus complexe puisse se mettre en place et se construire par autopoïèse, il faut :

1.    Une Intentionnalité c'est-à-dire une intention, un projet, une volonté.
2.    Une Historicité c'est-à-dire une mémoire, des patrimoines accumulés.
3.    Une Territorialité c'est-à-dire une ensemble de ressources accessibles.
4.    Une Organicité c'est-à-dire une organisation, des modèles, des règles, des normes.
5.    Une Activité c'est-à-dire un travail, une production, une mise en oeuvre.

Qu'est-ce que je veux ? Qu'est-ce que je possède ? Qu'est-ce que j'acquiers ? Qu'est-ce que je peux ? Qu'est-ce que je fais ? Questions universelles !
Celles que l'on se pose pour soi lorsqu'on est adolescent ou à un tournant de la vie où l'on se remet en question. Celles que doit se poser tout manager confronter à la construction de l'avenir de son affaire. Celles que devraient se poser les décideurs économiques et politiques au lieu de se gaver d'idéologies obsolètes.

Pour l'univers physique, pris comme un tout, voilà ce que cela donne :
Intentionnalité : l'accomplissement en plénitude.
Historicité : la matière accumulée.
Territorialité : l'espace-temps.
Organicité : les lois de la physique.
Activité : l'évolution cosmique.

Pour chaque personne, voilà ce que cela donne :
Intentionnalité : son projet de vie.
Historicité : ses connaissances et expériences.
Territorialité : son propre monde proche.
Organicité : son éthique (valeurs, règles de vie).
Activité : son travail.

Pour une entreprise, voilà ce que cela donne :
Intentionnalité : son projet d'entreprise.
Historicité : ses patrimoines matériels et immatériels.
Territorialité : son réseau de fournisseurs et clients.
Organicité : ses organisations.
Activité : son métier.

Marc Halévy
Le 20 juillet 2015