Guerre des paradigmes ... par le vide
La paradigme marxo-communiste s'est effondré en 1983 avec Deng-Xiaoping et fut éradiqué en 1989 avec la chute du mur de Berlin, l'éboulement de l'URSS et la disparition de ses dictatures quasi staliniennes un peu partout. A part l'antisémite notoire Alain Badiou et quelques autres pitres de son acabit, plus personne ne peut, aujourd'hui, prendre au sérieux les fadaises, les délires et les phantasmes marxistes.
Francis Fukushima s'est alors cru autorisé à proclamer "la fin de l'histoire" et la victoire définitive du paradigme opposé : le paradigme occidental de la Modernité dont les USA se sont fait, à leur sauce, les héros et les hérauts tout au long du 20ème siècle avec les tueries, guerres, échecs, vilénies et saccages que l'on sait. Quand on finance le Viêt-Cong pour virer les Français ou les talibans pour combattre les soviétiques en Afghanistan pour ensuite les combattre au nom du "monde libre" ou de l'antiterrorisme islamiste, quand on finance le régime du shah d'Iran pour ensuite aider l'ayatollah Khomeiny à le remplacer avant de déclarer la république islamique shiite, ennemi public numéro un, quand on soutient, durant des décennies un Saddam Hussein, un Mouammar Kadhafi, un Hosni Moubarak ou des Hafez puis Bachar el-Assad pour ensuite les désavouer, les combattre ou les détrôner au prétexte qu'ils osent vendre leur pétrole dans une autre devise que le sacro-saint dollar, on comprend que ce paradigme "moderne" n'est plus guère crédible.
Quand on voit, ensuite, que le paradigme moderne, industrialo-financiaro-consumériste est une impasse radicale qui saccage et pille le peu de ressources qu'il reste, et détruit, pollue et broie cette Nature sans laquelle aucune vie - pas même humaine - n'est possible sur cette planète, tout l'édifice de l'âge moderne s'effondre, malgré les œillères opaques que les bénéficiaires très temporaires de ce paradigme, les politiques en place et les peuples ignares, se mettent sur les yeux et sur la langue.
Il y aurait eu une issue : l'écologisme. Mais ce paradigme, à peine naissant, a été récupéré et dénaturé par des mouvances gauchistes post-soixante-huitardes, ce qui en sape malheureusement toute potentielle crédibilité.
Que reste-t-il, donc, pour construire un avenir viable et enviable ?
Rien ! Le vide.
Alors, plus rien ne s'oppose à ce que tous les pignoufs, crétins, aigris, frustrés, désespérés ou camés lorgnent du côté des paradigmes vides mais matamores, gueulards mais barbares, tonitruants mais pourris, qu'offrent les mouvances djihadistes de tous bords. Comment faire croire à un minable de dernière catégorie qu'il peut devenir un héros en trois coups de kalachnikov ? Rien n'est plus simple lorsqu'alentour, il n'y a plus que du mou, du lénifiant, du bobo, du droit-de-l'hommiste, de l'humaniste gnangnan.
Nous vivons une terrible et profonde mutation paradigmatique. Plus aucun des paradigmes anciens, brièvement énumérés plus haut, ne tient la route. Il y a un vide abyssal dans la conscience collective. Et, puisque la nature humaine a horreur du vide, on comble cet inadmissible trou béant avec ce qui se présente à la condition que cela puisse paraître "exaltant" pour un esprit simple et niais. Et ce qui se présente, c'est le djihadisme, savamment financé, avec l'argent du pétrole, par l'Arabie saoudite, foyer mondial du wahhabisme radical et du salafisme intégriste - sous les dehors policés d'un royaume riche et cossu qui pousse le libéralisme apparent jusqu'à permettre à certaines femmes de conduire une voiture ou de présider l'OPEP (sous haute surveillance, bien sûr).
Nos sociétés vivent les conséquences du vide laissé par leur nihilisme (déjà dénoncé par Friedrich Nietzsche en 1886). Il faut, bien sûr, abattre le djihadisme avec force ; les pays occidentaux commencent à comprendre, dans leur chair, ce que, depuis 1948, Israël vit sous leurs quolibets, critiques et sarcasmes puritains et bien-pensants. L'islamisme (je ne parle pas, ici, de la tradition spirituelle islamique et soufie) est un cancer ; il n'y a pas d'autre issue que d'éradiquer cette peste brune-noire-verte-barbue.
Mais cela ne suffira pas. Car, la maladie n'est pas la faute du microbe ; elle est la faute de l'organisme trop faible.
Ce ne sont pas les hyènes qu'il faut chasser ; c'est le cadavre du buffle qu'il faut brûler.
Nos sociétés occidentales - et bien d'autres avec elles - vivent une "ère du vide" pour reprendre la belle expression de Gilles Lipovetsky.
C'est l'absence d'un nouveau paradigme porteur et fort qui permet - voire appelle - des paradigmes délétères et barbares, venus des bas-fonds de l'humanité.
Ce paradigme nouveau indispensable, je ne cesse de le décrire, sous tous les angles, depuis près de trente ans et je renvoie ceux que cela intéresse à mes cinquante et des ouvrages aujourd'hui publiés. Qu'ils lisent ; moi, je suis las.
Marc Halévy, 8 janvier 2015.