Evolutionnisme et Taoïsme
La métaphysique chinoise pratique une métaphysique du Devenir, tout à l'opposé de la métaphysique européenne qui s'éreinte à chercher de l'Être immuable au-delà ou à l'arrière-plan des fluctuations incessantes de la manifestation et des phénomènes.
Depuis près de deux mille cinq cents ans, cette fluctuance universelle a reçu un nom : Tao (Dao en pinyin), que l'on peut traduire par flot, flux, écoulement ou, mieux mais plus savant, par processus. Le Tao est le processus universel par lequel le Réel se transforme et évolue sans cesse.
La philosophie chinoise a donc sculpté le concept de Tao malgré qu'il soit quasi ineffable tant il est difficile de concevoir du mouvement pur.
Depuis Lamarck, très progressivement, au travers d'Erasmus Darwin d'abord et de son petit-fils Charles ensuite, l'idée d'évolution universelle a fait son chemin pour culminer dans les modèles physiques d'Einstein, Friedmann, Lemaître et Gamow, et dans les visions mystiques de Bergson et de Teilhard de Chardin.
Ce n'est donc que très récemment que la science et la philosophie européennes ont accepté, bien à contrecoeur et du bout des lèvres seulement, de délaisser leur chère métaphysique de l'Être et ont commencé à penser le Devenir.
La paléoanthropologie est une des disciplines fabuleuses qui sont issues de ce colossal mouvement de remise en cause. Non, l'homme n'est pas un "être fait", un "être achevé", un "être créé" ; il est, lui aussi, le produit transitoire de l'évolution universelle, de l'évolution de la Matière et de la Vie dans le Cosmos.
Cette préface se veut le point de jonction entre ces deux grands mouvements intellectuels : le taoïsme chinois et l'évolutionnisme européen.
Tous deux récusent la croyance en l'existence d'un Dieu personnel qui serait étranger et extérieur au monde tout en étant créateur et pilote de celui-ci. Ce théisme dualiste et idéaliste, principalement représenté par le christianisme et l'islamisme, n'est compatible ni avec le taoïsme, ni avec l'évolutionnisme. Ce fait philosophique n'exclut en rien ni les notions de Divin et de Sacré, ni une authentique spiritualité. Mais celle-ci, alors, doit être immanentiste, moniste et naturaliste.
Marc Halévy, 4 septembre 2015.