L'Art de vivre sa vie.
Un arbre pousse tous les jours. Selon ce qu'il est, selon son espèce, selon son lieu et son milieu. Il pousse tous les jours pour s'accomplir malgré et grâce aux ressources du moment : lumière, eau, sels. Mais il ne cherche point à atteindre une forme finale qui préexisterait, quelque part. Il est, adviendra et restera unique parce qu'au-delà de sa vocation à s'accomplir, il n'y a nulle part un arbre idéal qu'il devrait devenir. Il pousse par accumulation, mû par sa force vitale (son intention à s'accomplir, son entéléchie, sa volonté de puissance, son vouloir-vivre, son élan vital, comme on voudra) ; mais il ne pousse pas dans le but d'atteindre un quelconque objectif qui serait (pré)défini, quelque part, dans un arrière-monde secret.
Décidément, l'idéalisme est une calamité ; elle est radicalement absurde cette croyance en l'existence d'un arrière-monde où l'Idéal préexisterait au Réel dont la vocation serait de le réaliser. Il existerait, ainsi, un monde idéal, une forme idéale, une société idéale, une cité idéale, une religion idéale, un homme idéal, une science idéale, une mathématique idéale, une vie idéale, une mort idéale, une Nature idéale, une sagesse idéale, etc … Ridicule !
Non seulement, derrière les idéalismes (et les idéologies qui, immanquablement, les promeuvent), il y a un mépris et un dédain du Réel tel qu'il est et va, mais il y a surtout l'incroyable infirmité mentale et philosophique de ne pas comprendre que l'avenir n'est écrit nulle part et que toute évolution doit être créée, inventée, osée, improvisée, par essais et erreurs. Il n'y a aucune destination prédéfinie, il n'y a pas de destinée ; mais tout ce qui existe, possède un destin propre, toujours le même : s'accomplir en plénitude, devenir pleinement ce qu'il est déjà potentiellement, faire tout ce que soi seul peut faire.
La Vie, le monde, l'homme et soi se construisent peu à peu … et il n'y a pas de plan. Nulle part.
L'idéalisme croit bêtement que ce plan existe, de toute éternité, et qu'il ne reste qu'à l'actualiser dans la chair du Réel.
L'idéalisme est une maladie mentale, une schizophrénie qui dédouble le monde et fait vivre dans un monde imaginaire, irréel, fantasmagorique.
Depuis Parménide, Pythagore et Platon, au travers du christianisme, jusqu'à Kant, Marx ou Russell, l'humanité cultive cette schizophrénie … frénétiquement … hystériquement … et passe à côté du Réel ou, plutôt, détruit fanatiquement le Réel, la Vie, la Nature pour alimenter ses délires imbéciles.
A force de rêver d'une "vie idéale", on se pourrit la vie réelle à gagner toujours plus d'argent ; mais cet argent accumulé ne pourra jamais acheter cette "vie idéale" qui n'existe pas. Quelle absurdité ! Et pour gagner et accumuler cet argent inutile, on détruit, on blesse, on épuise, on salit, on avilit, on pille, on saccage, on tue, on torture … Quelle dérision !
Le monde ne sait pas où il va. Rien de ce qui existe ne sait où il va. Il n'y a pas de destination, il n'y a pas de but à atteindre. Il n'y a qu'une chose qui existe pour tout ce qui existe : un chemin à tracer, une trajectoire à dessiner, la plus belle et la plus pleine possible.
Il n'y a rien au bout du chemin que la fin du cheminement dans la mort ; aussi, seul le cheminement lui-même importe-t-il qui donne à l'existence sa seule et pleine valeur unique !
Puisqu'il n'y a pas deux cheminements pareils, il n'y a pas deux chemins pareils. A chacun de créer le trajet qui accomplit tout ce qu'il porte en lui.
Entre naissance et mort, chacun a une dédicace à écrire, comme une calligraphie sur le parchemin du temps, sur le livre d'or de la mémoire cosmique.
Il n'y a pas d'autre éthique que la beauté et la véracité, la profondeur et la clarté de notre dédicace de vie personnelle. Tout le reste est mensonge. Mensonge de tout ceux qui ne cessent d'essayer de nous convaincre que nous devons avoir un but dans la vie et que ce but est de réaliser leur idéal de vie, qu'il faut donc que nous y soumettions nos existences, notre temps, notre énergie. Mensonge ! Le Progrès, le Justice, l'Egalité, la Solidarité, le Salut, … ne sont que des mythes vides, que des idéaux puérils, que des mensonges manipulatoires qui n'ont pour but que d'amener le troupeau au sacrifice de lui-même.
Puisque n'importe que la qualité du cheminement de vie, sans but ni destination, il faut encore que chacun se définisse ses propres critères de qualité de vie. C'est cela que signifie l'idée de se construire une intention de vie : savoir non pas où l'on veut aller dans la vie, mais savoir comment on veut marcher pour la vie. Quel genre de chemin veut-on emprunter ou créer ? Dans quel sorte de paysage ? Seul ou en compagnie ? Aller loin, ou aller vite, ou aller profond, ou aller haut, ou aller beau, etc … ? Définir précisément ce qui, à chaque carrefour de vie, nous fera choisir telle voie plutôt que telle autre.
Il n'y a pas de but ; il n'y a que la manière, plus ou moins intelligente, plus ou moins élégante, plus ou moins frugale, plus ou moins épanouissante, plus ou moins esthétique, plus ou moins fraternelle, plus ou moins contemplative, plus ou moins anagogique, etc …
Voilà l'essence même de la philosophie ou de la spiritualité : penser l'art de vivre sa vie, en cohérence et en amour avec son destin et sa liberté.
Il faut le marteler sans cesse …
"Il n'y a pas de but ; seul importe la qualité du cheminement !"
Marc Halévy, 7 octobre 2015.