Sur la notion d'ordre
La notion d'ordre est cruciale. Quand peut-on affirmer qu'il existe de l'ordre au sein d'un ensemble, surtout si cet ensemble est évolutif ? Un phénomène n'est jamais parfaitement identique à un autre ; une relation entre deux phénomènes n'est jamais parfaitement reproductible ou récurrente ; aucune structure n'est réellement permanente.
La "tête de cheval" entraperçue dans le forme d'un nuage n'est qu'un ordre illusoire. L'ordre mécanique des assemblages reproductibles n'existe que dans les artefacts humains. Dans la Nature, au mieux, on ne peut parler que de similarités d'ordonnancement. Mais que signifient "similaire" ou "semblable" ? Il y a là comme une odeur d'approximation, de proximité, de "distance" faible dans l'espace eidétique.
La notion d'ordre soulève deux questions : celle de l'existence réelle et non illusoire de formes géométriques ou processuelles dans le Réel, et celle de récurrence, même approximative, de ces formes.
La forme est-elle seulement idéelle et phénoménologique ? Je veux dire par là que c'est l'homme qui "reconnaît" une forme, conçue idéelement par ailleurs, dans un agencement peut-être fortuit : aucun tronc d'arbre n'est réellement conique, cependant tous les troncs d'arbre ont vaguement une forme de cône rugueux, plus ou moins tordu et déformé ; mais une "forme dé-formée" a-t-elle encore un sens opératoire ?
L'univers est un vaste ensemble évolutif d'événements qui produit, sans cesse de nouveaux événements venant s'accumuler aux précédents ; tous ces événements ont, entre eux, des relations diverses, notamment d'engendrement (ce qui fonde la notion de "temps" par la précédence de tels événements sur tels autres). Mais cet univers possède-t-il de réelles propriétés d'ordre qui ne soient pas seulement des fictions ou illusions humaines ? Est-il un Kosmos au sens grec ? Ou tend-il vers un Kosmos ? Il y a certes des récurrences approximatives, des similarités indéniables, des processus partiellement reproductibles, des similitudes d'engendrement ; mais tout cela permet-il, sur le plan ontologique et non plus phénoménologique, de fonder les notions d'ordre cosmique ou de "lois universelles" ?
En imitant Blaise Pascal, on peut - et c'est mon cas - faire ce pari ; mais est-ce satisfaisant pour l'esprit ?
Il n'en demeure pas moins que, même phénoménologiquement, la notion d'ordre doit impérativement être approfondie, rigorisée, généralisée.
Car voilà bien la seule question que posent, conjointement, la métaphysique et la physique : y a-t-il de l'ordre réel dans l'univers réel ?
Ensuite, viennent des questions secondaires : Quelles sont les règles d'ordre (le Logos du Kosmos) ? D'où viennent ces règles (Dieu transcendant, Hasard ou Intention immanente) ? Quels rapports l'homme doit-il (peut-il) entretenir avec ces règles cosmiques tant au niveau éthique qu'esthétique ? Ces règles sont-elles variables ? Etc …
Marc Halévy, 30 mars 2015.