Tisserand de la compréhension du devenir
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Philosophie talmudique

L'immense travail talmudique réalisé par les Tannaïm de la Mishnah, d'abord, puis par les Amoraïm des Guémarot, avait pour seul but de rendre la loi juive compatible et adaptable face aux circonstances de l'exil, sans rien concéder de l'essentiel : la pureté et la fidélité à l'Alliance.

L'immense travail talmudique réalisé par les Tannaïm de la Mishnah, d'abord, puis par les Amoraïm des Guémarot, avait pour seul but de rendre la loi juive compatible et adaptable face aux circonstances de l'exil, sans rien concéder de l'essentiel : la pureté et la fidélité à l'Alliance.

1- Théologie

Dieu.
Dieu existe !
Définition : Dieu est le nom de la source ultime de tout ce qui existe.
Tout ce qui existe, existe, donc la source de cette existence existe.
Dieu est la source du "il y a".
Dieu est Eyn-Sof, l'Illimité (l'Apeiron d'Anaximandre).
YHWH, tous les Elohim et toutes les Séphirot n'en sont que hypostases au sens de Philon d'Alexandrie (des avatars, au sens des Upanishads du Vedanta Advaïta).
Dieu se révèle et se manifeste dans tout ce que perçoit l'homme, la Nature, par l'extériorité, et sa nature, par l'intériorité.
Dieu est immanence et cette immanence est Présence (Shékhinah) de la source ultime dans toutes ses manifestations visibles et invisibles, perceptibles et imperceptibles.
Dieu est la négation absolue de toutes les idoles et de toutes les idolâtries (pour le Talmud, le judaïsme est l'anti-idolâtrie absolue et cette anti-idolâtrie résume, à elle seule, toute la Torah et toute la Loi juive qui en découle). Le Talmud va même jusqu'à affirmer : "Quiconque répudie l'idolâtrie est réputé être un Juif" (Meg.,13 a).
Cette notion d'idolâtrie est la clé de voûte de tout l'édifice judaïque et doit être philosophiquement explorée à fond !

Dieu.
Dieu vit aux tréfonds ultimes de la Nature, par les chemins de l'extériorité, et de ma nature, par les chemins de l'intériorité. Il, Lui-même est le processus de création permanente du Tout.
Le livre de la Genèse décrit non pas la création, mais l'enclenchement du processus créateur.
A. Cohen écrit : "La création n'est pas un acte du passé qui se maintiendrait automatiquement. Le processus de la Nature représente le fonctionnement incessant du divin pouvoir créateur".

Dieu.
L'affirmation de Dieu est une posture métaphysique qui induit un mouvement éthique : il est impossible d'affirmer Dieu sans affirmer, du même coup, une relation à Lui qui peut être adéquate (kashèr) ou inadéquate (tamé).
Sur Dieu, deux écoles inconciliables : le Dieu extérieur (absolument transcendant et étranger) de Platon et de tous les théismes, et le Dieu intérieur (absolument immanent et intime) d'Aristote et de tous les panenthéismes.
Quoique plutôt théiste, le talmudisme ne tranche pas vraiment entre les deux écoles, au contraire du kabbalisme qui est largement panenthéiste (comme Spinoza ou Einstein) (le panthéisme est, en somme, un panenthéisme "réduit" ou "appauvri", positiviste, limité au périmètre de l'appréhension humaine où le Tout (pan) se résume à tout ce qui peut être perçu).
Pour le Talmud, le prototype de l'athée, c'est l'Apikoros, l'épicurien, disciple d'Epicure et de son matérialisme atomiste (à ne pas confondre avec le "rabelaisien", ce jouisseur hédoniste que n'était, ni ne prônait Epicure, loin s'en faut).

Dieu.
Dieu est Un, mais il est à l'origine du Deux, et tout ce qui existe est dual sinon rien ne pourrait se manifester c'est-à-dire évoluer : pour que la Rivière cosmique existe, il faut qu'elle coule et, donc, qu'il y ait, pour elle, un Haut et un Bas.

Dieu.
Source unique de toute métaphysique : principe de cohérence de tout ce qui existe. Sans métaphysique, point de physique : il ne peut y avoir de physique que s'il existe des régularités, des règles, des lois. Sans métaphysique, point d'éthique : il ne peut y avoir d'éthique que s'il existe des critère de cohérence des comportements humains vis-à-vis de tout ce qui existe en lui et autour de lui.

Dieu.
Dieu est Unité !
Tout est Un. Monisme radical. Il n'y a rien hors du Un, hors du Tout, hors de Dieu. Tout est en Dieu. Panenthéisme. Au contraire du christianisme et de l'islamisme qui relèvent tous deux de l'idéalisme dualiste platonicien, le judaïsme n'est pas un (mono)théisme.

Dieu.
Dieu est Immatérialité !
La matière - comme tout ce qui est phénoménal c'est-à-dire manifestation sensible - procède le Lui qui est immatériel comme le Logos, l'Esprit, l'Âme ou quelque autre nom que l'on pourrait inventer. "De même que le Saint Unique (béni soit-il !) remplit le monde entier, de même l'âme remplit tout le corps" (Ber., 10 a).
Le judaïsme est un spiritualisme. La matière est seconde (voire tierce puisque la hylé s'interpose entre Esprit et matière). La matérialisme est une ânerie tant du point de vue physique (la matière est un produit de la physique subnucléaire) que du point de vue métaphysique (le matérialisme est l'autre nom du hasardisme faisant du hasard le seul moteur de l'évolution cosmique ce qui est rigoureusement falsifié aujourd'hui).

Dieu.
Dieu est Omniprésence !
Tout ce qui existe, émane de lui comme chaque vague émane de l'océan ; l'océan est partout car il ne peut y avoir de vague là où l'océan n'est pas. La Présence divine en chaque parcelle du Tout est la Shékhinah. La Shékinah sacralise tout ce qui existe.
L'espace, l'ensemble de tous les lieux, n'est que la mesure de la périphérie de Dieu comme la surface de la mer où ondule les vagues, n'est que la périphérie de l'océan.
"Pour toi, où que tu ailles, Dieu est avec toi !" (p. Ber., 13 b).
Dieu est présent partout, en tout, mais l'homme profane ne le voit pas partout, c'est pourquoi il a besoin de temples et de tabernacles.
L'omniprésence divine implique nécessairement l'omniconscience et l'omniscience divine : tout ce qui advient, est su, connu, mémorisé, conscientisé … Rien n'est caché à Celui qui vit en tout, partout, toujours.

Dieu.
Dieu (n')est (pas) Omnipotence !
Cet attribut d'omnipotence souvent donné à Dieu et dont relèveraient tous les miracles et tout le surnaturel (opposé, donc, aux lois de la Nature et au principe de cohérence que Dieu Lui-même incarne et symbolise), est proprement inacceptable. Il n'est d'ailleurs envisageable que dans une perspective théiste et dualiste où Dieu pourrait intervenir dans ce monde depuis un autre monde qui ne relèverait pas du même principe de cohérence et du même Logos (qui est Dieu Lui-même, pourtant).
Dieu est un "vouloir", mais non un "pouvoir".
Dieu est soumis à Son propre Logos, faute de quoi, Il n'azurait pas besoin du Tout, de la Nature et de la Vie pour s'y accomplir. Un Dieu omnipotent ne serait pas créateur puisqu'Il aurait/serait/deviendrait déjà tout, tout de suite.
Puisqu'Il n'est pas omnipotent, Dieu est faible et Il a besoin de tout ce qui existe pour s'y accomplir. C'est là le principe cardinal de l'Alliance : cet accomplissement mutuel de Dieu et de la Nature dont les hommes font partie intégrante. Dieu a besoin de la Nature et la Nature a besoin de Dieu pour s'accomplir mutuellement en plénitude … comme dans tout organisme vivant unitaire, le tout et la partie ont besoin l'un de l'autre pour se développer et s'épanouir.
L'omnipotence divine introduirait une relation hiérarchique incompatible avec le principe même de l'Alliance.

Dieu.
Dieu est Omniscience.
Cette omniscience est la conséquence de Son omniprésence, comme mentionné plus haut.
Dieu est un "vouloir" et un "savoir". Il est la gnose, la connaissance absolue. Il est la mémoire cosmique à laquelle rien n'échappe jamais et qui accumule tous les moindre détails de l'évolution de l'univers et de tout ce qu'il renferme.
Lorsque l'on meurt, on quitte la "peau" périphérique active de Dieu pour s'abîmer dans Sa mémoire infinie et éternelle, et fusionner avec elle.
Aucun humain ne peut tromper l'omniscience divine. Lorsqu'un homme ment, ou triche, ou dissimule, c'est lui-même qu'il tente d'abuser … et c'est proprement absurde.
Tout au contraire, la vie bonne passe par la transparence de soi avec soi qui, en pratique, revient à assumer l'omniscience divine pour soi.
Mais l'omniscience divine qui inclut tout le passé, s'arrête au présent. Le futur n'est connu de personne même si le don de prophétie permet d'en deviner certaines lignes de force, certains possibles, certains probables même.
Le talmudisme, tout au contraire, prétend à tort que l'omniscience divine inclut le futur … et a bien du mal, ensuite, à poser les idées de libre-arbitre personnel, de responsabilité morale et choix éthiques.

Dieu.
Dieu est Eternité.
"Pour Dieu, le temps ne signifie rien", écrit Abraham Cohen. A moins que le temps ne soit pas seulement la mesure de l'évolution du monde vers son accomplissement, mais également la mesure de l'accomplissement même de Dieu. Car Dieu n'est pas parfait, achevé, il n'est pas l'Être mais il est le Devenir. Dieu est le processus même du Devenir, son Logos intime et ultime. Il est l'Esprit et l'Âme qui animent ce processus d'accomplissement qu'Il vit Lui-même en Lui-même, par Lui-même, pour Lui-même. Le temps appartient à Dieu ; il est second par rapport à Lui. Mais il trahit le chemin de perfectionnement que Dieu suit Lui-même en Lui-même, par Lui-même, pour Lui-même. L'évolution et l'accomplissement de l'univers manifestent l'évolution et l'accomplissement de Dieu dont le temps manifeste la durée.
Lorsque Nietzsche s'écrie : "Dieu est mort", c'est une certaine conception de Dieu (la conception chrétienne, théiste, idéaliste, dualiste et platonicienne) dont il parle. Car Dieu, au sens métaphysique utilisé ici, est évidemment immortel, donc éternel puisqu'il est l'essence même du Devenir du Tout-Un qui l'incarne.
Dieu est l'éternel Vivant.
La Vie ne connaît pas la mort ; la mort est l'opposé de la naissance, pas de la Vie car la Vie, elle, est éternelle.
Dieu est la Vie comme Il est l'Esprit ou l'Âme du Réel, du Tout-Un.

Dieu.
Dieu est Justice et Miséricorde !
Le Talmud pose Dieu en Juge suprême (juste et miséricordieux) face au monde en général, et au monde des humains, en particulier. L'idée générale est : "Je vous ai donné à la fois un monde, un mode d'emploi (la loi) et le libre-arbitre, et je regarde de près (omniscience, omniprésence) ce que vous, les humains (vous, le Juifs, en particulier), en faites".
Cette attitude est typiquement théiste et dualiste : Dieu d'un côté, le monde de l'autre.
Sur le plan de Yètzirah (la Formation), la Séphirah de la Justice est Guébourah (la Vigueur) et celle de la Miséricorde est 'Héssèd (la Bonté) ; elles s'harmonisent en Tiphérèt (la Beauté). Par ce ternaire, la Kabbale a dépassé le dualisme rabbinique et restauré l'Unité du Tout.
L'idée que Dieu soit Juge du monde face au monde ne tient évidemment pas puisque Dieu est aussi le monde et qu'il est le Logos de l'évolution de ce monde. Dieu n'est pas le juge du Mal dans le monde, il en est la victime : c'est Lui qui souffre lorsqu'il y a souffrance. Le Mal ne fait que traduire l'imperfection du monde - donc de Dieu - qui est en voie d'accomplissement. Ce que l'homme appelle le "Mal", n'est que l'expression de cet inaccomplissement cosmique, source unique de toutes les souffrances. Le seul juge de l'homme, c'est l'homme lui-même, ce doit être l'homme lui-même ; et celui-ci doit être juste et miséricordieux, c'est-à-dire purement factuel (lucide) mais positivement patient (tolérant).

Dieu.
Dieu est Paternité !
Les hommes seraient les enfants de Dieu. Dieu serait Dieu-le-Père. Cette idée est chrétienne et n'a aucune racine toraïque ou biblique. Dieu n'engendre pas le monde hors de lui (comme une mère accouche son bébé pour qu'il vive sa vie séparée), Il le fait émaner de Lui (comme un arbre germe de sa graine pour l'accomplir). Le monde est de Dieu non dans une relation d'enfantement, mais dans une relation d'émergence et de procession. Dieu, en tant que Père, rejoint l'idée de Dieu, en tant que Juge. L'idée est fausse.
Le Deutéronome (14;1) dit : "Des fils vous êtes pour YHWH de vos Elohim (…)". Le mot Bèn désigne "ce qui procède de" et ne pointe pas seulement l'enfant engendré par ses parents ; ainsi, l'expression Bèn-laylah indique "ce qui a été produit en une seule nuit" et n'implique nullement un lien de filiation avec la nuit. Il en va de même pour la relation entre l'homme et Dieu : l'homme procède de Dieu puisqu'il émane de Lui, mais la relation entre eux n'est pas de filiation mais de procession, d'émanation, d'émergence. D'ailleurs, le livre de la Genèse stipule clairement (1;26-27) : "Et Il dira : 'dieux, nous ferons un homme dans notre image et comme notre ressemblance (…)'. Et Il ensemencera des dieux avec l'homme dans Son image (…)". Il n'est plus question de ressemblance : l'homme a émergé dans l'image de Dieu c'est-à-dire dans sa projection, dans sa manifestation. L'homme est une vague à la surface de l'océan divin, comme tout ce qui existe ; ni plus, ni moins.
Cette idée du Dieu-Père et de la relation filiale entre Lui et les hommes est étrangère à la tradition juive et a été importée par les rabbins depuis leur contexte helléno-chrétien (comme les idées connexes de vie après la mort et d'immortalité de l'âme personnelle, d'ailleurs).
Dans le mythe de cette relation filiale, c'est la rassurance et la protection que l'homme peureux cherche ; vieille réminiscence magique qui fondit, aussi, les sacrifices que le lévitisme prévoit afin de laver les impuretés de la vie et de rendre à l'homme sa pureté au service de Dieu.
Derrière l'idée chrétienne du Dieu-Père, il y a aussi, l'idée, tout aussi chrétienne, d'Amour filial qui fonde la "religion d'amour" étrangère au judaïsme.

Dieu.
Dieu est Sainteté et Perfection.
En tant que Tout qui est plus que la somme de toutes ses parties, Dieu possède évidemment plus de Perfection que quoique ce soit qui existe. Lui seul, en tant que Tout-Un, possède la plénitude de la Perfection réalisée et accomplie, à chaque instant. Cela ne signifie nullement que la Perfection divine soit achevée ; tout au contraire, la manifestation cosmique ne peut exister qu'au service d'un accomplissement inachevé et en cours de perfectionnement.
Dieu possède la Perfection accomplie, mais Il ne possède pas encore la Perfection achevée, absolue, définitivement pleine … pour autant que celle-ci puisse exister. Il semble préférable de penser que le perfectionnement divin est infini, jamais achevé et que Dieu, ainsi, est un processus de perfectionnement et d'accomplissement sans fin.
Quant à la Sainteté de Dieu, elle renvoie au Sacré, à la sacralisation de tout ce qui existe et qui manifeste Dieu. Le Saint (Kadosh), c'est ce qui est sanctifié. La Sainteté est la plénitude de cette sanctification. La Sainteté est le summum de la Perfection atteinte. Le rabbinisme prône une forme d'imitatio Dei et enjoint, donc, aux Juifs, de viser une forme de sainteté humaine comme reflet de la Sainteté divine. La sainteté, en ce sens, devient une tension vers plus de pureté et de fidélité vis-à-vis l'Alliance entre Dieu et Israël (la pureté suprême, comme on l'a vu, étant le fruit de la purification radicale de toute forme d'idolâtrie). Au dipôle sainteté/impureté vient se superposer le dipôle sacré/profane : la Sainteté est la réalisation accomplie de la sacralisation de la Vie, l'atteinte parfaite du Sacré pur, loin des impuretés liées à la profanité, à la profanation.
Les mitzwot de la Torah ne sont, ainsi, que les préceptes et les bornes de ce cheminement vers la Pureté, la Sainteté et la Sacralité qui consacrent la fusion mystique entre le Divin et l'humain.
Le livre du Lévitique (19:2) dit : "Vous deviendrez saints comme Saint je suis, Moi, YHWH de vos Elohim".

Dieu.
Dieu est YHWH, le Nom ineffable !
YHWH est un des Elohim mais il a la particularité d'être le dieu tutélaire de la Maison d'Israël. Il est un avatar divin, une hypostase divine de la déité absolue que la Kabbale appelle Eyn-Sof (le Sans-Limite").
YHWH est Dieu pour Israël.
Ce Nom majestueux dérive du verbe HYH qui signifie "devenir" ou "advenir" et amalgame deux formes verbales qui sont YHY, "Il adviendra" et HWH, "devenant" : "Il adviendra devenant" … Ce Nom fait référence à la grande révélation métaphysique et mystique du buisson ardent qui utilise le même verbe à la première personne de l'inaccompli : AHYH AShR AHYH, "Je deviendrai ce que je deviendrai" (et non, "Je suis qui je suis" tel que le traduisent fallacieusement les Bibles chrétiennes ; Dieu n'est pas l'Être suprême car Dieu est le Devenir absolu … et le Devenir chasse l'Être).
Le Nom originel et archaïque du dieu tutélaire de la Maison d'Israël était Yah (YH, en hébreu, qui n'a aucune signification particulière), auquel la désinence HWH a été ajoutée par agglutination pour donner : "Yah est advenant" que l'on peut interpréter par : "Yah est ce qui advient", pointant tout à la fois le surgissement, le destin, l'évolution, l'émergence, la création continue, etc.
Le fait que Dieu porte un Nom propre peut faire croire qu'Il est le Dieu personnel des théismes - et le talmudisme ne s'est pas privé de gloser sur ce thème. Mais le fait que ce Nom soit imprononçable et ineffable, tant à dépersonnaliser Dieu et à le rendre impersonnel.
Dieu est le "Il y a" suprême oui, mieux, le "Il advient" suprême où le pronom "il" est celui de "il pleut" ou de "il y a".
Le fait que le Nom du dieu de la Maison d'Israël puisse s'écrire mais non se dire, est symptomatique. Ecrire, c'est symboliser mais non nommer, c'est indiquer (donner un indice) mais non personnifier. Tout cela milite en faveur d'une impersonnalisation du Divin. Dieu n'est pas étranger et distinct face au monde ; Il est dans le monde et Il est Présence au monde, immanence pure, ce qui abolit toute distance ou distanciation entre Lui et l'homme pieux.

2- Cosmologie

Cosmos.
Le Cosmos est sans intérêt.
Le talmudisme et le rabbinisme considèrent que ce qui est inconnu est caché et que ce qui est caché ne doit pas être recherché. La connaissance de la Nature et de ses lois n'est pas recherchée ; elle est plutôt découragée, voire suspectée , en tous cas déconseillée. La seule connaissance souhaitable est celle de la Torah et de ses commentaires notamment talmudiques. La science n'est pas à-propos au contraire de la Kabbale qui affirme haut et fort que Dieu se révèle dans deux livres : celui de la Torah et celui de la Nature, et que ces deux livres se complètent harmonieusement puisqu'ils fournissent deux éclairages sur le même Réel-Un.
Ce point est une divergence majeure entre talmudisme et kabbalisme.
Pour le dire en termes modernes, le talmudisme ressortit des philosophies du sujet (Socrate, Montaigne, Descartes, Montesquieu, Kant, Comte, Kierkegaard et presque toute la clique des "penseurs" autour de Sartre, au 20ème siècle) alors que le kabbalisme participe des métaphysiques cosmologiques (les présocratiques, Aristote, les stoïciens, Leibniz, Pascal, Spinoza, Schelling, Hegel, Nietzsche, Bergson, Heidegger).
Cette défiance vis-à-vis de la connaissance cosmologique relève, évidemment, du parti-pris théiste propre au talmudisme : puisque Dieu et le Cosmos ne seraient pas identifiables l'un à l'autre (ce que prétend, au contraire, le panenthéisme) et puisque le temps de vie est limité et qu'il faut choisir un domaine d'étude, il faut choisir l'étude de Dieu (dont le Cosmos n'est qu'un vague sous-produit) et délaisser l'étude du Cosmos.

Cosmos.
Le Cosmos est une création ex nihilo.
Fidèle à son théisme fondateur, le talmudisme lit le premier chapitre de la Genèse comme une création ex nihilo.
La controverse est toute entière contenue dans le premier verset de ce chapitre que les rabbins traduisent ainsi : "Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre" (cfr. la Bible officielle du rabbinat français ou celle du grand rabbin Zadoq Kahn). Alors qu'une traduction littérale donne : "Dans un commencement, il ensemença des dieux avec le Ciel et avec la Terre".
Pour arriver à leur fin, les rabbins ont user de quatre entourloupes :
- Le premier mot est B'rèshit ("dans un commencement" qui suggère une pluralité de commencements) et non pas Baharèshit ("dans le commencement" ou "au commencement" qui indique l'unicité du commencement).
- Ils ont escamoté l'incontournable difficulté posée par le fait que Elohim est un pluriel qui ne peut pas être le sujet du verbe bara, conjugué à la troisième personne du singulier du mode accompli.
- Ce verbe bara dérive de la racine bar qui signifie, en même temps, la "graine de blé" et le "fils" ; ainsi, bara signifie "ensemencer" ou "engendrer", mais pas "créer" qui, en hébreu, se dit yatzar.
- La particule èt qui signifie "avec" a été éliminée sous le prétexte inconfirmé qu'elle pouvait aussi désigner le complément d'objet direct … de temps en temps, … mais pas toujours.
Le verset suivant donne, lui aussi, du fil à retordre au créationnisme rabbinique.
Ce deuxième verset du livre de la Genèse dit ceci : "(…) une Ténèbre [était] au-dessus des faces de l'Abîme et un Souffle des dieux [était] palpitations au-dessus des faces de l'Eau". Ce verset énumère les quatre fondamentaux incréés puisqu'antérieur à la première parole de création qui concerne la Lumière (qui n'est pas la lumière terrestre venant des astres car elle n'apparaîtra qu'au quatrième "jour" de la Genèse) : "Et Il dira : 'dieux, une Lumière adviendra', et une Lumière adviendra".
De ces quatre fondamentaux primordiaux, trois sont immatériels : la Ténèbre et l'Abîme qui sont, respectivement, absence de Lumière et absence de Matière, et le Souffle des dieux qui est d'essence spirituelle. Il ne reste donc que l'Eau qui puisse évoquer la hylé ou la ousia (pour reprendre ces termes grecs désignant la substance originelle), incréée, antérieure au processus d'émanation. La substance, symbolisée par l'Eau, est donc un attribut intrinsèque de Dieu ce qui fait de Lui le champ même d'émergence du Cosmos. Cela fonde, tout à trac, l'émanationnisme, l'émergentisme et le panenthéisme, à la fois, du lévitisme originel et du kabbalisme.

Cosmos.
Le Ciel et la Terre.
Le premier verset de la Genèse fait cette distinction primordiale et fondamentale de deux mondes : celui du Ciel (cité d'abord) et celui de la Terre (cité ensuite). Dans la suite du texte, on ne parle plus de ce Ciel primordial ; en revanche, les évolution successives de la Terre attirent toutes les attentions. D'abord, le Tohu et le Bohu. Puis la Ténèbre, l'Abîme, le Souffle et l'Eau. Puis la Lumière. Puis les eaux d'en-haut et celles d'en-bas, et, entre elles, un espace également appelé "ciel" mais qui n'est que le ciel terrestre. Etc …
Mais que désigne donc le Ciel primordial : Ha-Shamaym, en hébreu ? La Torah n'en parle strictement pas et les rabbins n'en disent rien de significatif ; en suivant la tradition néo-platonicienne, ils se contentèrent de lui donner une structure en sept couches qui pourrait symboliquement convenir au ciel terrestre matériel, mais pas au Ciel primordial immatériel.

Cosmos.
Le Temps.
Le Temps commence avec la Lumière et la distinction du Jour et de la Nuit. Il s'affinera avec les astres du ciel terrestre, la soleil, la lune et les étoiles qui "(…) serviront de signes pour les saisons, pour les jours et pour les années." (Gen.:1;14).
Ici encore, il n'est rien dit sur cette Lumière primordiale, fondatrice du Temps, et sur la signification de ce Jour et de cette Nuit qui ne sont pas les jours et les nuits terrestres.
Encore une fois, le talmudisme ne s'intéresse qu'au terrestre où l'humain tient le rôle principal, et se désintéresse du céleste cosmologique qui, pourtant interpelle avec le Ciel, avec le Tohu et le Bohu, avec la Ténèbre, l'Abîme et le Souffle des dieux, avec la Lumière d'avant la lumière et les Jours et Nuits d'avant les jours et les nuits.
Pourquoi sept Jours qui ne sont pas des jours ? Qu'est-ce que la Shabbat de Dieu dont les shabbats des hommes pieux ne sont que les reflets et évocations terrestres ?
On dirait que l'intérêt du talmudisme ne s'allume qu'avec le second récit de la Genèse, celui de l'extraction de l'humain terrestre hors de l'humus terrestre, dans le jardin d'Eden où sont plantés l'Arbre du milieu qui est celui de la Vie, et, non loin mais pas au milieu, l'Arbre de la Connaissance du Bon et du Mauvais (ainsi que le démontre la lecture attentive du texte, Eve, la Vivante, mangea de l'Arbre du milieu et non de celui de la Connaissance … ce fut là le plus grand malentendu spirituel de l'univers et cela transforme radicalement toutes les thèses du péché originel et de la rédemption).

Cosmos.
Transcendance et Immanence.
Le talmudisme associe étroitement transcendance et immanence de Dieu à la fois infiniment éloigné de l'humain, tout en étant extrêmement proche de lui.
Ces notions de transcendance et d'immanence étaient donc relative à l'humain et se mesuraient en termes de distanciations, d'accessibilités et de proximités spirituelles. Il ne s'agit donc pas de métaphysique car sur ce plan, le talmudisme est foncièrement théiste et rend donc Dieu étranger, par nature, à la Nature. Le lien entre ces deux univers (Dieu et la Nature), étrangers l'un à l'autre, serait l'âme humaine céleste inscrite dans la matière charnelle. Platon l'avait asséné à la philosophie et Descartes ne dira pas mieux quelques siècles plus tard. Ce dualisme ontologique est vital à la persistance de tout cet édifice conceptuel aussi dualiste qu'intenable.
La question de la transcendance et de l'immanence revêt deux aspects.
Le premier est métaphysique : le Réel est-il ontologiquement Un ou Deux ?
Le second est spirituel : Dieu est-il intime ou inaccessible ?
Confondre ces deux questions revient à s'embourber dans une boue conceptuelle létale.
Le Talmud répond que le Réel est ontologiquement Deux, ce qui est faux ; et que Dieu est à la fois intime ou inaccessible selon le degré de sainteté, de pureté et de spiritualisation de l'humain concerné, ce qui est vrai.
Il faut donc apprendre à distinguer les transcendance et immanence ontologiques et les transcendance et immanence sotériologiques. Comme l'ontologie n'intéresse pas le talmudisme, il est normal qu'il ne s'intéresse qu'aux transcendance et immanence sotériologiques dans la relation entre Divin et humain sans  se préoccuper trop du monisme ou du dualisme de nature.
D'un point de vue pratique : Dieu peut-il être d'une quelconque aide pour l'homme dans les vicissitudes du quotidien ? La réponse est clairement négative. Dieu n'est ni une béquille pour handicapé de la vie, ni une assistance sociale, ni un faiseur de miracle à la demande, ni un exhausseur de prières quémandeuses. Dieu n'a que faire des aléas humains et des soucis de l'humanité. Croire le contraire relève encore de cette pensée magique ou chamanique primitive qui croit, puérilement, que Dieu est une assurance-vie dont il suffit de payer la prime, sous forme de prières, de sacrifices, de rites ou de mortifications, pour obtenir la protection. Tout cela est absurde. La foi en Dieu est un chemin vers la quête de sens et de valeur, vers la quête de joie et de gnose ; elle n'a rien à voir avec une loterie de coups de pouce, n avec une caisse mutuelle de solidarités.
Le kabbalisme répond que, quelles que soient les significations que l'on donne à ces deux mots, Dieu et l'homme font partie du même Devenir ontologique (immanence ontologique) et qu'ils sont parties intégrantes de la même réalité ici et maintenant (immanence sotériologique).
Dieu est immanent et réside partout, jusque dans la moindre parcelle du Réel, mais, pour l'homme aveugle, il est des lieux plus propices à la rencontre avec cette Présence : la Tente de la Rencontre et, par suite, le Temple. Le dessillement humain vient de la sacralisation cultuelle et rituélique de ces lieux ; pour le sage mystique, n'importe quel lieu peut être une Tente de la Rencontre.
La pureté de l'âme, de l'esprit et du cœur permet la reliance directe avec la Shékhinah et permet la prophétie c'est-à-dire la clairvoyance et la préscience du monde et de sa logique.

Cosmos.
Angélologie.
Le Talmud fait de très nombreuses mentions aux anges et démons (des anges malfaisants), et autres êtres surnaturels que le lévitisme et le sadducéisme rejetaient vigoureusement.
Les anges (Mal'akh) sont des messagers, voire des messages, qui relient l'âme du pur à Dieu.
Cette angélologie très présente dans le talmudisme est le point d'ancrage des superstitions populaires juives.
La Torah connaît des Elohim autres que YHWH comme El-Elyon, El-Shaday, El-Tzébaot, Molokh, Ishtar, etc … et Shatan (Satan) qui est l'Obstacle, ainsi que les Kéroubim (les "chérubins") qui ornaient l'Arche d'Alliance, et Azazel (dieu, ange ou démon ?) qui hantait les déserts et attendait le don du bouc émissaire (tiré au sort parmi un couple de boucs offerts) porteur de "tous les péchés d'Israël" (Lev.:16;22) …
Les quatre archanges sont Mikha-El (pauvre de Dieu), Gabri-El (ma vigueur est Dieu), Ouri-El (ma lumière est Dieu) et Rapha-El (guérison de Dieu).
Il y a quatre archanges comme il y a quatre faces pour la tête de chacun des quatre Vivants du Char divin, selon Ezéchiel : le lion, roi des fauves, le bœuf, roi du bétail, l'aigle, roi des oiseaux et l'homme, roi .. de rien.
Tout ce fatras surnaturel et quelque peu puéril ne plaide pas en faveur du sérieux philosophique du Talmud.

Cosmos.
L'ordre parmi les peuples : la Maison d'Israël et les Nations !
L'élection !
Un lien étroit, indéfectible et sacré entre la Maison d'Israël et son Dieu nommé YHWH. La hantise des Juifs est de disparaître, engloutis, phagocytés, assimilés par les Nations parmi lesquelles ils vivent en exil forcé. Il faut rester vivant et, pour cela, il faut rester "autre", rester fidèle à ce qui fait la différence entre la Maison d'Israël et les Nations, rester pur, donc. Le lévitisme est né contre la disparition juive dans l'exil babylonien et la talmudisme est né contre la disparition juive dans la diaspora romaine.
Du principe d'élection (choix des Juifs pour YHWH et choix de YHWH pour les Juifs), est issu d'impératif de vivre comme une élite en pays étranger, parmi les Nations. Partout où on laissait aux Juifs un espace pour survivre, il fallait qu'ils deviennent les meilleurs : dans les sciences, dans la médecine, dans le commerce, dans la banque, dans le droit, dans l'industrie, etc … On ne peut prétendre être élu si l'on n'assume pas le devoir d'être une élite. Les deux mots forment un doublet étymologique. C'est là, sans doute, que se cache le germe de tous les antijudaïsmes, de tous les antisémitismes, de tous les antisionismes : le Juif énerve, intrigue, fâche, irrite parce qu'il étudie deux fois plus, parce qu'il travaille deux fois plus, parce qu'il prie deux fois plus, etc …
L'élection d'Israël ne lui octroie aucun privilège, aucune supériorité, aucune prééminence ; au contraire. Elle lui impose un surcroît de devoirs et d'exigences.
Une parabole raconte qu'un Roi offrit un magnifique jardin pour que tout le monde puisse s'y promener à son bon plaisir, mais qu'il fallut bien désigner un régisseur pour "servir et garder" (Gen.:2;15) le jardin et le garder bien en ordre. C'est cela l'élection.
A cette élection répond un universalisme talmudique qui n'exclut personne du "banquet" divin où tous les justes et tous les bons seront conviés, qu'ils soient juifs ou non.
Mais, et c'est bien légitime, cet universalisme se teinte parfois de rancœurs, de ressentiments, de rejets au vu des oppressions et persécutions que les Nations infligèrent aux Juifs.
Jusqu'à ce que le christianisme y mette le holà cruellement, le prosélytisme juif et les conversions de païens battaient bon train ; le judaïsme était "ouvert". Et les récits bibliques en témoignent largement. Le repli sur soi fut forcé de l'extérieur et non souhaité de l'intérieur. Mais les rabbins ont gardé une défiance qui rend, encore aujourd'hui, les conversions extrêmement difficiles.
L'ostracisme juif, éventuel et contingent, à l'égard des Nations vient du constat, malheureusement vérifié, que le nombre des justes et des bons, parmi elles, est extrêmement réduit ...
Est-ce à dire que tous les Juifs sont justes et bons ? Non pas. Mais il y a, dans la tradition juive et par l'exigence de l'exil, une réelle propension de la plupart des Juifs à devenir plus équitables envers les autres et meilleurs envers Dieu.

3- Anthropologie

L'homme.
Le talmudisme est un humanisme !
Il place nettement l'homme au-dessus et à part de toutes les autres créatures, au prétexte qu'il a été le seul à avoir été "créé à l'image de Dieu" - alors que le texte biblique dit : "engendré dans l'image de Dieu" (Gen.:1;).
Fidèle à son parti-pris implicite pour les philosophies du sujet, le talmudisme est un anthropocentrisme et fait, donc, de l'homme, le centre, le sommet et le but du monde terrestre, voire de l'univers.
La supériorité supposée de l'homme que le talmudisme accorde à l'homme, et l'éthique globale qui s'ensuit, sont directement dérivées de ce principe directeur que seul l'homme fut créé à l'image de Dieu. Qui frappe ou méprise ou hait un homme, ipso facto, frappe, méprise ou hait Dieu. Le talmudisme sacralise l'homme et, ce faisant, désacralise tout le reste de la Nature qui devient un arrière-fond, un réservoir de ressources sans la moindre importance métaphysique ou éthique. Descartes ne dira pas autre chose.
Pourtant, répétons-le, le texte biblique dit bien que l'homme a été engendré dans l'image de Dieu c'est-à-dire parmi sa manifestation cosmique, sans aucun statut particulier. La distinction de l'homme viendra, bien plus tard, pour avoir contracter l'Alliance avec ce Dieu qui s'accomplit ; mais il faut souligner que cette Alliance tend à pallier le fait qu'au contraire de toutes les autres créatures de la Nature, l'homme est le seul à ne pas contribuer naturellement et spontanément à cet accomplissement de la Vie. L'Alliance a été nécessaire parce que l'homme est bien plus débile que les autres vivants. Bref …
Le talmudisme ne voit pas le Cosmos ou la Nature ; il ne voit que l'humain, image de Dieu. Le Sifré du Deutéronome dit : "Toutes les créatures qui furent formées du ciel sont, corps et âme, d'origine céleste ; toutes celles qui furent formées de la terre sont, corps et âme, d'origine terrestre, à l'exception de l'homme dont l'âme vient du ciel et le corps de la terre". On voit ici surgir les deux piliers du platonisme, conformément à la posture théiste des rabbins : le dualisme ontique et l'idéalisme métaphysique. C'est du Descartes bien avant Descartes. Le talmudisme pratique, au sens le plus fort de cette expression d'aujourd'hui, le principe anthropique.
Ce dualisme foncier de l'homme comme créature à la fois divine et céleste, et vile et terrestre, fait comprendre le dégoût profond que la vie terrestre inspire aux rabbins qui ne se préoccupe que de la part céleste de l'homme au détriment total de sa part terrestre. La Nature, la Vie, le Cosmos n'ont, pour eux, strictement aucun intérêt ; au mieux sont-ils un délassement de l'esprit, un divertissement.
En tout cela, le talmudisme s'oppose radicalement au lévitisme et au kabbalisme qui, eux, voient dans la Nature l'expression et la manifestation du Divin immanent à tout ce qui existe et font de l'homme le serviteur et le gardien de cette Nature qui n'est pas vue comme vile, mais, tout au contraire, comme merveilleuse.

L'homme.
La vie après la mort.
Puisqu'il existe deux mondes, l'un céleste et divin, l'autre terrestre et vil, et puisque l'âme humaine participe du monde céleste alors que le corps participe du monde terrestre, il reste un pas à franchir que le pharisaïsme antique, contre le lévitisme biblique et le sadducéisme orthodoxe, sauta allègrement : celui de l'immortalité de l'âme personnelle et d'une autre vie, purement spirituelle, après la mort. Cette idée est totalement étrangère au Tanakh, en général, et à la Torah, en particulier. Pour le lévitisme biblique comme pour le sadducéisme orthodoxe, il n'existe ni âme immortelle, ni vie après la mort, ni êtres surnaturels d'aucune sorte. Ces idées d'une âme immortelle et d'une vie dans un au-delà du monde, s'ancrent dans les mythologies indo-européennes et viennent de la philosophie grecque - pythagoricienne et platonicienne, plus précisément - ; elles ont contaminé, à peu près à la même époque, le pharisaïsme juif et le christianisme naissant (Jésus, ses frères et Paul étaient issus de milieux pharisiens contre lesquels ils se révoltèrent).
La clé de l'accès de l'âme immortelle à la vie éternelle, dans l'au-delà, après la mort, est morale ; elle ressemble au karma hindou et fonctionne par accumulation de bienfaits c'est-à-dire, en l'occurrence, d'actes conformes à la morale talmudique (la loi dite "orale" qui viendrait compléter le loi écrite contenue dans la Torah et contenant les 613 mitzwot que l'on y a répertoriés).

L'homme.
Le corps est un chef-d'œuvre !
Au contraire du christianisme qui ira plus loin sur la même voie, le talmudisme ne conçoit aucune haine du corps, malgré que celui-ci participe du monde vil et terrestre.
Le corps est vu comme un chef-d'œuvre, créé par Dieu Lui-même, comme un potier, à partir de la glaise terrestre (Gen.:2;7). Le texte dit précisément ceci :
"Et YHWH façonnera des Elohim avec l'humain (ha-Adam), poussière hors de l'humus (Adamah) et Il soufflera dans ses narines une âme (nishamah : une dénomination personnelle - de shem : le "nom") de Vie et l'homme adviendra pour une âme (néphèsh : la respiration, ce qui se repose, le calme, dérivé du verbe poush : ce qui s'étend, ce qui se multiple) de Vie (la néphèsh 'Hayym n'est rien d'autre que "l'élan vital")".
La traduction rabbinique de Zadoc Kahn, fort éloignée du mot-à-mot littéral, donne ceci qui relève d'un tout autre sens : "L'Eternel-Dieu façonna l'homme, - poussière détachée du sol -, fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant".
Mais ce corps, chef-d'œuvre du potier divin, n'est qu'un écrin, une réceptacle, un tabernacle pour y recevoir l'âme personnelle, la nishamah.
Pour le lévitisme et le kabbalisme, cette nishamah, cette âme personnelle qui constitue l'individualité, la personnalité et l'identité de la personne, meurt avec celui qui la porte. Seuls la néphèsh 'hayym et le roua'h élohim (le souffle des dieux) sont des âmes immortelles, la première indiquant l'élan vital commun à tout ce qui vit (Nietzsche dirait la "volonté de puissance") et la seconde symbolisant l'intention divine inscrite dans le cosmos.
Il faut prendre soin du corps ; il faut une bonne hygiène de vie. En tant que chef-d'œuvre du potier divin, l'anatomie humaine et ses 248 organes répertoriés émerveillent les rabbins ; il n'est donc pas étonnant que la Maison d'Israël regorge, au long de toute son histoire, de tant de médecins.

L'homme.
Une âme !
Nishamah est le nom de l'âme personnelle ; la mort la libère du corps et lui permet de comparaître pour être jugée apte, ou non, à la vie éternelle de félicité. L'âme est ce reflet de Dieu qui anime le corps. Dualisme ontique, donc. La pureté de l'âme doit être préservée durant toute la vie dans ce monde ; aussi, toutes les fautes doivent être expiées par une purification idoine. Du temps du lévitisme, cette expiation se faisait au travers de sacrifices divers offerts pour être consumés sur l'autel, dans les parvis, ou, surtout, pour être consommés par les lévites dont c'était la seule ressource permise.
L'âme de l'homme appartient à Dieu que la lui prête, le temps d'une vie ; devoir est fait à l'homme de rendre son âme, au moment de la mort, en parfait état. Cela signifie que, selon le Talmud, les âmes préexistent à ceux qui les portent.

L'homme.
La foi !
La foi talmudique et, plus généralement, la foi juive est une foi en Dieu, en le Dieu de la Torah dont YHWH, dieu tutélaire de la Maison d'Israël, est l'hypostase spécifique qui a donné la Torah à Moshéh, le plus grand des prophètes, comme termes de l'Alliance entre Lui et son peuple élu.
Ce Dieu est, à la fois, totalement universel lorsqu'il ne porte aucun nom et clairement spécifique lorsqu'il porte un nom : YHWH en l'occurrence.
La foi spécifiquement juive est, plus qu'une foi en Dieu, une foi en la Torah comme code de bonne vie. Cette foi est une confiance profonde en la validité de la Torah, en sa puissance de "salut" … même si cette notion de salut prend des sens bien différents pour le talmudiste qui croit en une vie après la mort, ou pour le lévite ou le kabbaliste qui n'y croient pas.
Cette idée de "confiance" est centrale ; elle commande une forme d'abandon, de détachement, de désencombrement de la vie avec une propension nette à la frugalité, à la simplicité, à l'étude.
Rabbi Akiba avait coutume de dire : "Quoi que fasse le Tout-Miséricordieux, il agit pour le mieux". Confiance ! Foi !
La foi apporte non le bonheur, mais la sérénité, ce qui est infiniment plus précieux.

L'homme.
La prière !
La prière est faible lorsqu'elle quémande (elle prouve une confiance et une foi en la puissance divine, mais elle démontre une totale méconnaissance de la nature divine). La prière est forte lorsqu'elle vise la communion de l'humain avec le divin, lorsqu'elle unit la partie au Tout-Un, lorsqu'elle établit un contact intime entre le plus profond de l'âme personnelle de l'orant avec l'Âme cosmique absolue de Dieu. Bref, la prière est forte lorsqu'elle est mystique.
Une telle prière mystique a des retombées immenses (la réponse de Dieu …) en ce sens qu'elle permet de dépasser tous les aléas de la vie quotidienne et d'établir une sérénité inouïe dans la paix absolue avec soi, avec le monde et avec Dieu.
Plus qu'une requête, la prière doit être un hymne.
Pour entrer en état de prière, pour que la communion avec Dieu soit possible, il est indispensable que l'âme soit en état de pureté, sinon de sainteté (kawanah). La raison en est limpide : pour communier avec le Tout-Un, il faut avoir renoncé à la source de tout le mal du monde : l'ego. Car c'est bien cela la pureté et la sainteté : vivre en pleine humilité, dans la pleine conscience que rien n'existe que l'océan et que toutes les vagues n'y sont que des épiphénomènes n'ayant aucune existence propre. C'est l'ego qui fait obstacle à la communion intime avec le Tout-Un ; c'est lui la cause de toutes les impuretés qui jonchent le monde des hommes. Chaque homme, pour prier valablement, doit, au préalable, savoir qu'il n'a de vie, de sens et de valeur qu'au service de ce qui le dépasse infiniment : l'accomplissement divin.
En ce sens, il est symptomatique que les prières synagogales se placent à la première personne du pluriel (le "nous" de la communauté) et jamais à la première personne du singulier (le "je" de l'ego).
La prière authentique n'est pas une prière des lèvres, mais une prière du cœur. Il ne s'agit pas de récitation, mais de méditation. Il s'agit donc bien plus d'oraison (au sens d'oration) que de prière (au sens de récitation) !
Pour le talmudiste, la prière prime sur l'oraison ; elle doit être collective et synagogale (exotérique, récitée selon les canons en vigueur). Pour le kabbaliste, c'est tout le contraire : l'oraison prime toutes les prières préfabriquées et elle est solitaire, liée à l'étude ésotérique et mystique de la Torah.
La vie synagogale selon les rabbins et le talmudisme, est quotidiennement scandée par les trois offices statutaires de prières (téphilot) : celui du matin (shaharit), celui de l'après-midi (min'hah) et celui du soir (maariv) qui, tous trois, nécessitent le minyan c'est-à-dire la présence d'au moins dix Juifs adultes. A ces prières quotidiennes, viennent s'ajouter, selon les jours, les prières et rituels spécifiques des shabbats et des célébrations, tout au long de l'année.

L'homme.
Morale !
Tout homme subirait deux penchants, l'un vers le Mal (celui de l'insensé) qui serait inné, l'autre vers le Bien (celui du sage) qui serait acquis et se manifesterait après la bar-mitzwah (à 13 ans). Les animaux ne connaitraient pas de penchant mauvais qui est le propre de l'homme.
Ainsi, le Mal est en l'homme dès la naissance (le talmudisme ne croit donc pas du tout au mythe du "bon sauvage", ni à l'innocence des petits enfants ; il s'oppose ainsi radicalement au rousseauisme pour lequel : "l'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt").
Cette théorie rabbinique des "deux impulsions" ne tient pas, ne serait-ce que parce qu'elle repose sur ces notions absolutisées de Bien et de Mal dont la philosophie sait bien qu'elles n'ont aucun sens. Dieu est par-delà le Bien et le Mal et les turpitudes humaines ne concernent que les hommes qui se détruisent ou se construisent réciproquement selon mille modalités qu'il est impossible de dualiser aussi simplement.
Mais une autre question morale surgit : celle du libre-arbitre et de sa signification en regard avec la volonté divine. Flavius Josèphe, issu de l'aristocratie sadducéenne, révèle que le libre-arbitre est une invention typique du pharisaïsme ; cette notion s'oppose radicalement à celle de destin, de destinée qui est au cœur du lévitisme biblique et du sadducéisme orthodoxe.
Pour le talmudisme, l'homme est entièrement responsable de ses actes, de ses faits et gestes ; il est assez proche de l'existentialisme d'un Sartre, par exemple. Le talmudisme pose une éthique de la responsabilité individuelle.
Il ne s'agit nullement de nier toutes les déterminations liées aux capacités physiologiques ou psychologiques : les interactions de l'homme avec lui-même, avec les autres hommes et avec le monde ont soumises à la contingence et aux déterminations des lois de la Nature. Ce sont les relations entre l'homme et Dieu qui font l'objet de cette radicalisation du libre-arbitre et de la responsabilité individuels. On comprend, encore une fois, qu'une telle posture ne tient plus dès lors que l'on sort du dualisme idéaliste du théisme talmudique : si Dieu et la Nature ne font qu'un, comment, alors, faire la part des contingences morales et des déterminations naturelles qui s'enchevêtrent inextricablement.
Le Traité des Pères qui est un des chapitres de la Mishnah, ne craint pas la contradiction lorsqu'il affirme que : "Tout chose est prévue [par Dieu] ; cependant la liberté du choix est donnée".
La notion de péché est centrale pour le talmudisme. Elle s'étend même au-delà de l'existence du fauteur, à "toutes les générations" puisque tout acte ou toute parole a des conséquences à l'infini, pour l'éternité. Mais ce sont les conséquences qui retombent sur les générations, mais non la responsabilité qui, elle, reste personnelle. Ainsi, si la notion de faute originelle peut avoir des conséquences à l'infini, pour l'éternité et, ainsi, prendre sens, celle de "péché" originel n'en a aucun. Il en va de même pour l'idolâtrie du veau d'or en bas de la montagne de la révélation toraïque.
On appelle "péché" toute violation du pacte d'Alliance entre la Maison d'Israël et Dieu. Le mot hébreu traduit pas "péché", 'hath'a, signifie, en fait, "échec". Cette sémantique est capitale. Pécher, c'est échouer à mener une vie pure, c'est échouer à être en harmonie avec le Tout-Un, c'est échouer à assumer la vocation de l'homme, en général, et de l'homme juif, en particulier.
Parmi ces échecs, même s'ils sont tous graves, les rabbins en désignent trois qui sont gravissimes : l'idolâtrie (le plus grave de tous), l'impureté et le meurtre, auxquels on ajoute souvent la calomnie (qui, au fond, est un meurtre de l'esprit et de l'âme).
Cette morale rabbinique était volontiers misogyne, considérant la femme comme une tentatrice inclinant l'homme vers les péchés de viol, de fornication ou d'adultère - tout en prônant une sexualité, pourvu qu'elle soit licite, très libre et porteuse de plaisirs et de bonheurs. Le péché de chair n'existe pas dans le mariage ; tout au contraire. En gros, ce qui nuit à autrui, nuit à Dieu. Mais ici, dans la tradition rabbinique, "autrui" ne concerne que les autres humains et n'inclut pas (sans les exclure, néanmoins) les autres être vivants. La Torah, déjà, s'inquiétait du sort de tel âne ou de tel bœuf, mais elle s'en inquiétait seulement s'ils étaient la propriété "de ton frère".
On pèche chaque fois que l'on nuit à autrui. Mais heureusement, le péché est effaçable, rémissible, moyennant repentance et expiation. Selon la logique talmudique et rabbinique, le processus d'expiation, pourvu qu'il y ait repentance et réparation préalables, a lieu une fois l'an, lors du Yom Kippour et des dix jours qui le précèdent.
Pour tout le reste, l'équité et la justice divines feront leur œuvre. Et bien sûr, mille questions s'ouvrent quant à la souffrance de ceux qui font le bien … Où, alors, est la justice divine ? Comment est-il possible que des méchants prospèrent et jouissent alors que certains hommes, justes et bons, souffrent ou meurent atrocement? Et, évidemment, plus près de nous, le problème posé par la Shoah interpelle violemment le concept rabbinique de la "justice" divine.
Le talmudisme ne répond pas. Ou, plutôt, ses réponses sont faibles : les voies de Dieu sont impénétrables … Le péché des pères retombe sur les fils, même justes … etc …
Le constat même de l'existence de la souffrance dans le monde, détruit les idées d'omnipotence et d'omniscience divines. Mais, de surcroît, le constat de la prospérité des méchants et de la souffrance des justes détruit celle de justice divine. La morale talmudique et rabbinique s'effondre face à ces constats majeurs et incontournables.
De là vient l'idée simple mais inéluctable que Dieu est un projet qui n'est pas maître du trajet.

4- La Révélation.

La Révélation.
Le don de prophétie !
Le don de prophétie est cette faculté inouïe de certains êtres d'élite d'entrer en résonance directe avec l'Esprit divin, avec le Logos et de com-prendre, sans intermédiaire la logique globale du processus cosmique. Il ne s'agit pas de prédire l'avenir puisqu'il est foncièrement imprévisible ; il s'agit de pressentir les lignes de forces dont émergent les possibles du futur.
Le Talmud énumère les qualités indispensables pour le don de prophétie puisse se poser sur un sage. L'esprit de pureté et de fidélité, de sagesse et de simplicité, de détachement et de sérénité y joue, bien sûr, un rôle éminent.
Le don de prophétie n'est pas exclusif de la Maison d'Israël ; les Nations ont aussi leurs prophètes (Balaam en est le prototype biblique). C'est la Torah, et non le don de prophétie, qui est l'exclusivité de la Maison d'Israël et, avec elle, la prophétie dans le cadre de la Torah et de l'esprit saint de YHWH.
De tous les prophètes de la Maison d'Israël, Moshéh (Moïse) est de loin le plus éminent puisqu'il a révélé la Torah, socle essentiel de tout le reste.
Auprès de lui, des textes (Meg. 14 a) dénombrent 48 prophètes et 7 prophétesses (dont Sarah, Myriam, Déborah et Esther) ; d'autres en distinguent beaucoup plus, à différents degrés.
Souvent, il est dit que le don de prophétie, c'est-à-dire l'Esprit Saint, s'est retiré de la Maison d'Israël lors de la destruction du Temple et avec l'exil … ce qui signifierait que le talmudisme et son juridisme casuistique sont inaptes à entendre l'Esprit Saint et à susciter le don de prophétie qui, depuis lors, survit dans le kabbalisme.
Toutes les prophéties prônent la même chose : la repentance, la Téshouvah, le refus de l'errance et  le retour sur les chemins vers Dieu. La prophétie deviendra donc inutile au jour à tous les hommes auront repris le chemin vers Dieu.

La Révélation.
Le don de la Torah !
La Torah est la source unique de toutes les pensées juives. Ce texte inouï que l'on dit avoir été inspiré à Moïse sur la montagne du désert de Sin, juste après la libération des Hébreux du joug de l'esclavage en Egypte, a été compilé, sur base de sources orales diverses, au retour de l'exil de Babylone par les scribes d'Esdras (Ezra, en hébreu) sous la houlette d'Ezéchiel et de son disciple Néhémie, au 6ème siècle avant l'ère vulgaire. Le premier et plus ancien livre de la Torah est, paradoxalement, le Deutéronome qui est le premier exposé doctrinal du lévitisme, religion originelle de la Maison d'Israël. Les autres livres du Pentateuque en sont des développements ou des compléments. Le livre du Deutéronome contient 95 mitzwot réparties en trois classes, cultuelle (la relation avec Dieu), culturelle (la relation avec soi, avec sa propre identité) et mutuelle  (la relation avec l'autre) : une théologie, une anthropologie et une sotériologie.
La Torah est au centre absolu de tous les systèmes de la pensée juive, donc aussi du talmudisme. L'étude de la Torah, au travers du Talmud, est le cœur de l'activité rabbinique. Les kabbalistes, eux, ne s'occupent pas du Talmud et puisent directement - et gourmandement - à la source première : la Torah et ses lettres. Le chapitre de la Mishnah intitulé le Traité des Pères (Pirkeï Abot) décrit amplement et magnifiquement cet amour de la Torah et la place éminente qu'elle occupe dans la vie juive. La Torah, au sens fort et profond, détient un pouvoir vivifiant qui "donne vie", qui "donne vitalité" et qui est sans doute un des secrets de l'improbable survie de la Maison d'Israël parmi les Nations hostiles.
La Torah est la Vie ! Le Deutéronome (30;12) affirme : "Cela [la Torah, la Loi] n'est pas dans le Ciel".

La Révélation.
L'étude de la Torah !
Etudier la Torah, c'est aimer et servir Dieu. Mais que signifie "étudier la Torah" ? La lire ne suffit pas ; encore faut-il l'interpréter la com-prendre c'est-à-dire la prendre avec soi et pour soi. La tradition juive distingue deux grandes voies d'interprétation (midrash) : la 'halakhah qui est le développement moral et juridique, et la aggadah qui en est le développement symbolique, philosophique et mystique. Le Talmud fait la part belle à la voie 'halakhique alors que le corpus kabbalistique est essentiellement aggadique. Par l'acronyme PaRDèS ("verger") la kabbale propose quatre niveaux d'interprétation de la Torah : le sens littéral (P'shat) et moral (Drash) qui est au cœur de talmudisme, et le sens symbolique (Rémèz) et mystique (Sod) dont s'occupent les études kabbalistiques.
La question est souvent posée de la compatibilité de l'étude intensive de la Torah avec les travaux requis pour mener une vie de famille agréable et aisée, sans gênes ni privations. Les rabbins y répondent en développant un argument du juste milieu, du bon équilibre : perdre sa vie à la gagner est absurde, mais étudier dans la misère est stérile. Il faut donc consacrer le temps minimum utile pour gagner sa vie suffisamment pour vivre sans peine, et consacrer tout le reste de son temps à l'étude. De là, aussi, le devoir de générosité envers les étudiants afin de leur permettre de se dédier à l'étude le plus clair de leur temps - à charge à eux, plus tard, de réciproquer et d'ainsi payer leur dette.

La Révélation.
La Torah écrite !
Le Tanakh (la Bible hébraïque) est l'ensemble constitué par la Torah (Pentateuque), les Nabiim (Prophètes) et les Kétoubim (Hagiographes) ; il comprend, selon les computs, vingt-deux livres canoniques (selon Flavius Josèphe, le sadducéen) ou vingt-quatre (selon le Talmud des rabbins pharisiens). Par parenthèse, le nombre 24, en hébreu, s'écrit KD qui signifie "cruche" : la Tanakh est une cruche pleine d'eau de Vie ; d'un autre côté, 22 est le nombre des lettres de cet alphabet hébreu dont toutes les pages du Tanakh sont constituées.
La différence entre ces différents computs vient du fait que certains livres de la Bible sont regroupés ou non (ainsi, les douze "petits prophètes" sont-ils regroupés en un seul livre canonique) ; mais, dans tous les cas, aucun ne manque.
La canonicité de ces joyaux que sont Esther, les Proverbes, le Cantique des cantiques et l'Ecclésiaste firent problème pour le talmudisme ; même Ezéchiel et Job firent problème pour certains rabbins.
On dit (B'rèshit Rabba 3 5) que la Torah, lumière de la Maison d'Israël, comprend cinq livres parce que le mot "Lumière" apparaît cinq fois dans les versets 3 à 5 du livre de la Genèse qui décrivent, précisément, la naissance de la Lumière céleste et mystique d'avant les astres et la lumière terrestre et physique.
Tous les livres du Tanakh sont déclarés "d'inspiration divine" ce qui élargit bigrement le concept de révélation et permet d'éviter les images d'Epinal d'un Dieu anthropomorphe qui s'astreindrait à dicter ou à écrire Lui-même les livres sacrés. Ces livres sont des œuvres humaines et rien de plus ! Mais leurs auteurs sont des "hommes de Dieu" largement inspirés par l'Esprit Saint.

La Révélation.
La loi orale.
Les rabbins inventèrent une théorie qui affirmait que, sur la montagne du désert de Sin, Moshéh reçut deux Torot (pluriel de Torah), l'une écrite dans le Tanakh, l'autre orale transmise de bouche à oreille pendant de nombreuses générations, mais aussi sacrée, sainte, vraie et ancienne que le Tanakh.
Comme l'écrit Abraham Cohen : "Cette théorie de la Torah orale souleva une vigoureuse opposition de la part des Sadducéens", gardiens de l'orthodoxie lévitique.
En réalité, la loi orale est l'accumulation et la compilation de pratiques intellectuelles, spirituelles et, surtout, juridiques telles qu'elles se sont développées dans les diverses communautés juives dans et hors le pays de Judée. Outre les communautés judéennes, d'autres communautés, nombreuses et prospères, fonctionnèrent autour de Babylone et d'Alexandrie, notamment. Ces communautés "exilées" eurent à affronter des conditions de vie au sein même de sociétés non juives et à adapter leurs coutumes et modes de vie à cet environnement. L'invasion de la Judée par les Grecs, d'abord, et par les Romains, ensuite, induisit l'apparition de mouvements dissidents, voire hérétiques au sein même de la religion lévitique portée par l'aristocratie sadducéenne du Temple de Jérusalem. Ces dissidences et hérésies se nommèrent le pharisaïsme (de Péroushim : les "séparés"), l'essénisme (à qui l'on doit les manuscrits de Qoumran), le zélotisme, etc … dont procède la dissidence judéo-chrétienne d'un certain Jésus.
Ces dissidences ont développé, elles aussi, des pratiques quotidiennes différentes, dans le but de s'adapter ou de s'opposer à l'occupation, par l'ennemi honni, des terres ancestrales et saintes.
Les pharisiens prirent l'habitude de se réunir, chaque shabbat, autour d'un maître d'étude (Rav qui donne rabbi (mon maître) et, donc, rabbin) pour entendre la Torah, dans une maison communautaire (Beyt-ha-Knéssèt qui, en grec, donne "synagogue").
Avec la destruction du Temple et l'expulsion de presque tous les Juifs hors de Judée, les Romains sonnèrent le glas du sadducéisme orthodoxe et laissèrent la place ouverte au développement du pharisaïsme qui donna le rabbinisme, puis le talmudisme. La sadducéisme, quant à lui, survécut timidement et très discrètement, notamment dans les communautés d'Alexandrie où s'était organisée la rencontre entre judaïsme et hellénisme (cfr. Philon d'Alexandrie et Marie-la-Juive, fondatrice de l'alchimie), et d'où allait naître les premiers livres kabbalistiques (le Séphèr Yètzirah d'inspiration nettement néo-platonicienne et néo-pythagoricienne).
Outre les traditions sadducéennes et kabbalistiques, ni les karaïtes méditerranéens, ni les falashas éthiopiens ne reconnaissent un quelconque caractère sacré et inspiré aux Talmuds qui, pour eux, ne sont que des compilations de coutumes et règles de vie de communautés pharisiennes diverses.
Le talmudisme, aujourd'hui largement dominant parmi les communautés juives religieuses, a permis à la Maison d'Israël de survivre dans la diaspora et malgré les persécutions ; mais il n'en constitue pas moins une dissidence et une hérésie face au lévitisme orthodoxe qui est la source unique de tous les judaïsmes et que la Kabbale perpétue très discrètement (l'exotérisme talmudique est plus accessible à l'homme juif de la rue, que l'ésotérisme kabbalistique).

La Révélation.
La pratique de la Torah !
Abraham Cohen écrit : "On critique souvent le Talmud comme ayant tenu le Juif étroitement rivé aux liens du légalisme et lui ayant ainsi fait perdre toute notion de la liberté et de la spiritualité."
Ce procès est exagéré car le Talmud est aussi un océan de joie et de vertigineuses aventures intellectuelles. Il est cependant vrai que le talmudisme se déclare ennemi de toutes les formes de mystique et d'ésotérisme. Au fond, la talmudisme est une forme de rationalisme avant la lettre ; un positivisme religieux, en somme, imprégné de casuistique.
Pratiquer la Torah revient à appliquer, en permanence les mitzwot qu'elle prescrit. Non par peur d'un châtiment, non par soumission puérile à la voix du Père, mais par amour librement consenti, par ferveur, par fidélité, dans la joie de l'accomplissement de soi. Seule la contrainte - librement acceptée et assumée - amène l'homme à se dépasser, à sortir de son indolence native et à prendre la vie à bras le corps.
Pour les interdits, s'arrêter bien en deçà de la limite, mais pas trop.
Pour les devoirs, ne s'arrêter que bien au-delà de la limite, mais pas trop.

5- Ethique

Morale.
L'imitation de Dieu !
La Torah répète à diverses reprises des sentences telles que  : "les préceptes que je te donne aujourd'hui seront dans ton cœur" (Deut.:6;6) ou : "Vous vous souviendrez de tous mes préceptes, vous les mettrez en pratique, et vous serez saints pour votre Dieu" (Nbre:15;40). La Torah est donc le repère moral absolu, non seulement par les mitzwot qu'elle donne (il y en a 613), mais aussi au travers des exemples offerts par les saints personnages bibliques, outre Dieu Lui-même. Le but de toute morale est la sainteté : "Et vous serez pour moi un peuple saint parce que Moi Je suis Saint".
Les rabbins ont donc naturellement fondé leur morale sur l'imitatio Dei. Mais que faire lorsque Dieu, dans la Torah, dit Lui-même qu'il est un Dieu coléreux et jaloux alors que colère et jalousie ne peuvent pas être des recommandations morales ?

Morale.
La Fraternité !
Le Lévitique (19;18) dit, d'après les traductions officielles : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" … mais cette traduction, comme toujours, est fallacieuse ; le texte dit, exactement : "(…) tu aimeras ton Ra  comme toi-même ; Moi, Je suis YHWH". Que signifie ce mot bilitère Ra (Rèsh, Ayn) ? Il peut signifier plusieurs choses, à l'opposé les unes des autres : "ami" (et non pas "autrui" ou "prochain") mais aussi "mal", mais aussi "pensée", mais aussi "tumulte" … ce qui n'est pas la même chose.
On ne peut pas aimer le mal ou le tumulte. Reste donc deux traductions positives possibles : "Tu aimeras ta pensée comme toi-même : Moi, Je suis YHWH" ou bien : "Tu aimeras ton ami comme toi-même ; Moi, Je suis YHWH".
Cette seconde option est la plus littérale et elle prône un amour de l'autre, certes, mais un amour qui est tout sauf universaliste ; c'est l'ami qu'il faut aimer comme soi-même et non autrui au sens général comme les chrétiens disent le concevoir. Ce dont il s'agit ici, c'est une fraternité communautaire : aimer tout le monde est certes un slogan sympathique, mais il est vide car aimer tout le monde ou n'aimer personne deviennent alors synonyme puisque l'amour se noie dans l'anonymat généraliste.
L'autre traduction est plus intéressante : c'est la pensée qui dit que : "Moi, Je suis YHWH" qu'il faut aimer comme soi-même … On pense aux upanishads : Tat tvam asi : "Tu es Cela".
Les rabbins, quant à eux, prônent un amour fraternel universaliste, d'obédience chrétienne, quel que soit la race, la religion, les croyances et les actes de l'autre homme.
Le Traité des Pères donne un aphorisme un peu moins idéaliste et tellement plus profond : "Que l'honneur de ton prochain te soit aussi cher que le tien". Ne jamais humilier l'autre est, en effet, bien plus efficient que proclamer un amour universel qui, pratiquement, ne signifie rien.

Morale.
L'Humilité !
Est humble, celui qui vise la pureté en pratiquant la frugalité, la simplicité et l'étude. L'humilité exprime la claire conscience que l'homme ne prend sens et valeur que par ce qui le dépasse infiniment. L'humble se dévoue totalement à sa vocation de contribuer à l'accomplissement divin dans le monde. Il n'a pas d'ego. Il sait qu'il n'est rien de plus qu'un épiphénomène passager, une vague à la surface de l'océan.
L'humilité est tout le contraire de l'arrogance, de l'orgueil, de la vanité qui sont autant de formes d'idolâtrie de soi. L'arrogance peut s'exprimer par le corps : c'est la coquetterie. Par le cœur : c'est la prétention. Par l'esprit : c'est le pédantisme. Par l'âme : c'est la suffisance.

Morale.
L'Equité !
L'hébreu utilise le Tzédaqah qui signifie : "équité". Le Tzadoq est le Juste. Chez les 'hassidim, le tzadiq est le chef de la communauté. Souvent, le mot Tzédaqah est traduit par "charité" sous l'influence de la sémantique chrétienne. Il ne s'agit pas de charité, mais d'équité ; ce qui ne revient nullement au même. Le but est d'arriver à une répartition la plus équitable possible de tout ce qui est précieux et qui peut être partagé. La foi ne peut être partagée, mais bien les conseils spirituels ou moraux. L'intelligence ne peut être partagée, mais bien les savoirs. La santé ne peut être partagée, mais bien l'argent. Et ainsi de suite.
Tout vient de Dieu et tout retourne à Lui. L'idée même de possession est fallacieuse : qui possède quoi ? Il y a ce que l'on possède et qui est nécessaire ; il y a ce que l'on possède et qui est superflu. Ce qui est nécessaire pour l'un, est superflu pour l'autre.
La traduction la plus évidente de l'équité pratique, est la solidarité entre les membres d'une même communauté de vie. On est loin de cette charité chrétienne que le talmudisme, pourtant, câlina avec un brin d'idéalisme … ce qui explique que tant d' Juifs ashkénazes furent si tentés par les utopies socialistes et communistes (ce sont des Juifs athées, déçus du communisme soviétique qui créèrent l'Etat d'Israël et les kibboutzim qui y fleurirent).
Plutôt que la charité, la vertu recherchée par les rabbins est la bonté. Une forme sereine de bienveillance qui souhaite le meilleur pour chacun, autant que faire se peut. Et si le malheur frappe, il faut que la bonté en accompagne le deuil.

Morale.
L'Honnêteté !
L'honnêteté n'est que de l'équité appliquée aux transactions entre les hommes où doit prévaloir la haine de la tromperie, de la fraude et du mensonge. Il s'agit, en somme, en généralisant le sens des deux mots utilisés, que le prix payé soit conforme à la valeur réelle (quantité, qualité, délai, etc …).
Le Talmud - qu'il en soit béni - est clairement allergique à toute forme de spéculation : l'argent gagné n'a de sens et de valeur que s'il est le fruit d'un vrai travail.

Morale.
Le Pardon !
Pour qu'il y ait pardon réel, il faut qu'il y ait, préalablement, dommage réel, puis contrition et réparation réelles. Le pardon vise à réconcilier, à éviter l'esprit de vengeance, de ressentiment et de rancune.

Morale.
La Tempérance !
Le talmudisme regarde d'un bon œil les plaisirs de la vie ; non seulement il encourage ceux qui en profitent, mais il condamne ceux qui s'en abstiendrait. Le talmudisme n'a aucune vocation à la continence, à l'austérité ou à la mortification. Il professe volontiers un épicurisme joyeux à la condition qu'il soit assorti d'une sage modération. Il applique volontiers le conseil gravé au fronton du temple d'Apollon à Delphes : "Rien de trop", aucun excès ni par abondance, ni par abstinence.
La pauvreté n'est pas vice, mais elle n'est pas non plus vertu. Un aphorisme clair (Abot:3;12) en témoigne : "Là où il n'y a pas de farine, il n'y a pas non plus la Torah".
Le même Traité des Pères (4;1) résume tout : "Qui est riche ? Celui qui se réjouit de son sort comme il est dit (Ps.:128;2) : 'Quand tu jouis du labeur de tes mains, tu es heureux et tu prospèreras', tu est heureux en ce monde, et tu prospèreras dans le monde à venir".
Les aphorismes du bien vivre ne manquent pas : "Il n'y a pas de joie sans vin" …
Mais les excès nuisent et la modération s'impose.
Cette tempérance recommandée ne touche pas seulement les plaisirs du corps ; elle s'étend aux plaisirs du cœur, de l'esprit et de l'âme.

Morale.
La Compassion !
L'éthique ne doit pas se limiter aux humains ; elle doit être étendue à tout ce qui vit sur terre, dans les mers et dans les airs. L'homme ne peut faire souffrir aucun animal, même - et surtout - lors de l'abattage des animaux à viande.

6- Sotériologie.

Sotériologie.
Les Superstitions (que les rabbins appellent "la voie des Amorites") !
Le Talmud reconnaît l'existence d'êtres surnaturels qui hanteraient le monde des hommes. Des anges, bien sûr, mais aussi des esprits, souvent malfaisants.
Ces mauvais esprits pullulent, surtout là où il y a de l'obscurité et de l'eau (sic) ; ils appellent toutes sortes d'exorcismes, de charmes, de formules magiques, d'amulettes, de gestes …
Toute cette superstition a fourni une démonologie parfois sophistiquée que la Kabbale a parfois reprise, mais en la lisant au plan symbolique. La légende de Lilith, première épouse d'Adam, est à sujet bien intéressante …
Il faut rappeler vigoureusement que la Torah condamne sans détour toutes les pratiques magiques et divinatoires que les masses populaires affectionnent souvent et que le Talmud a bien du mal à rejeter. L'astrologie, par exemple, malgré sa totale incompatibilité avec le principe du libre-arbitre, y fait débat.

Sotériologie.
Le Messie !
La plupart des traditions place l'âge d'or des hommes dans le passé lointain ; la tradition juive la place dans l'avenir, dans l'à venir. Les conceptions du Messie varient. Pour les uns, il est l'annonciateur de la fin des temps, et pour d'autres, il en est l'acteur ; pour certains, il s'agit d'un homme (c'est l'opinion très largement majoritaire parmi les rabbins talmudistes), pour d'autres, d'un processus impersonnel (les temps messianiques), pour d'autres encore, d'un envoyé de Dieu, un être surnaturel (c'est cette version qui prévalut chez les chrétiens). Pour certains rabbins (mais ils sont rares  ; le Talmud n'en mentionne qu'un seul, un certain Hillel, au 4ème siècle), la croyance en la venue d'un Messie est une pure superstition.
L'idée d'un Messie (Messia'h, "oint" que le grec traduit par Christos) vient de la prophétie d'Esaïe (la Torah n'en fait aucune mention, ni les autres livres bibliques antérieurs à Esaïe).
Bien des spéculations tentèrent de deviner le nom, l'aspect, l'époque (toujours très tumultueuse, pleine de guerres - entre Gog et Magog - et de fureurs) et les signes distinctifs de ce Messie. A chaque période terrible de l'histoire juive, le personnage du Messie reprenait une ampleur de premier ordre : il est le héros et le héraut de l'espérance collective puisqu'il est censé entériner la fin des temps de souffrances.
Comment sera le monde d'après le Messie ? Là, l'imagination n'a évidemment plus aucune limite et chacun peut se livrer à la projection de ses vœux les plus intimes. Ce monde sera un monde d'abondance de tout, sans fin et sans travail (un seul grain de raisin posé dans un coin de la maison fournira du vin à suffisance pour toujours … c'est dire !). La mort y sera abolie. La paix y règnera éternellement. La joie y sera parfaite et universelle. Le Temple de Jérusalem y sera reconstruit, mais plus aucun sacrifice n'y sera nécessaire. Les douze tribus y seront réunies.

Sotériologie.
La Résurrection des Morts !
Ce point est un des points majeurs de discorde radicale et profonde entre l'orthodoxie lévitique (sadducéenne) et l'hérésie talmudique (pharisienne).
Pour les rabbins, ce point de la résurrection des morts est essentiel : "Si quelqu'un rejette la croyance en la résurrection des morts, il n'aura pas de part à la résurrection" (Traité du Sanhédrin, 90 a).
Les sadducéens nient cette vie après la mort, cette résurrection des morts, cette immortalité de l'âme personnelle ; ils nient donc toute la doctrine rabbinique des jugements, sanctions récompenses et châtiments. Pour les sadducéens (comme pour les samaritains), il n'y a qu'un seul monde et c'est celui-ci où nous vivons ; quant au mort, il est mort et le restera car son âme personnelle (sa nishamah) meurt avec lui.
Comme on s'y attend, le thème de la résurrection des morts suscitent une infinité de questions qui sont autant d'apories : qui ressuscitera, tous ou seulement les méritants ? où ? dans quel état ? à quel âge de vie ? quid de ceux dont le corps a été brûlé, éparpillé ou déchiqueté ? pour quoi faire ? etc … Et, bien sûr, toutes les réponses furent possibles … et données.

Sotériologie.
Le Monde à Venir !
Les temps messianiques furent longtemps considéré, par les rabbins anciens, comme un monde purement spirituel et céleste où la vie est débarrassée du corps et des embarras de la chair. Les rabbins plus récents optèrent plutôt pour une vision des temps messianiques comme sas ou vestibule entre les deux mondes. Mais ils étaient tous d'accord sur le fait que même les prophètes ignorent tout de ce que serait ce monde à venir. Tout pouvait donc en être dit sans vergogne. Et l'on ne s'en est pas privé. Bien des questions se posaient et notamment celle de la multiplicité de ces mondes à venir, échelonnés selon un degré de proximité de Dieu, ou celle de l'accès des païens à cette félicité éternelle … etc.

Sotériologie.
Le Jugement dernier !
La doc trine rabbinique de la rétribution des actes de vie implique nécessairement qu'il y ait un jugement final : le dernier des jugements. Il pourrait être individuel au moment de la mort ou collectif au moment de la résurrection de tous les morts.
L'idée de rétribution naît du constat que le monde réel n'est pas forcément "juste" et que des justes y souffrent alors que des méchants y prospèrent. Il faut donc bien que justice se fasse, sinon ici, au moins dans l'au-delà.
L'opinion qui prévaut est que chaque Juif est jugé personnellement au moment de sa mort, mais que tous les non-juifs seront jugés collectivement à la fin des temps.
La sanction alors tombe : soit le Géhenne pour les méchants, soit le Jardin d'Eden pour les justes, selon le bilan de tous les actes de la vie tels que consignés dans le "grand livre" de chacun. A remarquer que l'opinion dominante est que le jugement est définitif et que la sanction est éternelle ; mais des opinions autres ont été données notamment celle qui place les âmes défuntes et jugées dans la géhenne pour un certain temps, proportionné à leurs fautes, et qu'après, ces âmes soient détruites définitivement..

Sotériologie.
La Géhenne (Gehinnom) !
La géhenne est l'équivalent talmudique de l'Enfer des Chrétiens, lieu de feu et de torture, mais non des enfers des Grecs qui est un lieu neutre et d'oubli.
A remarquer qu'au 3ème siècle, rabbi Shiméon ben Lakish prétendait qu'il n'existât pas de géhenne, les âmes des méchants étant définitivement détruites par le feu du soleil divin.

Sotériologie.
Le Jardin d'Eden !
Le Jardin d'Eden, dans la littérature talmudique, est le paradis, le Pardès ("verger") où les âmes des justes pourront jouir d'une félicité éternelle. Ce jardin est échelonné en sept étages de jouissance croissante, selon la qualité des âmes qui y sont acceptées.
L'image fréquente pour représenter cette félicité est celle d'un immense banquet de joie où, d'après la légende populaire, on dégustera la chair du Léviathan.
Mais le délice suprême est celui de posséder la présence réelle de Dieu ce qui signifie une existence en pleine et parfaite communion mystique avec Lui.
Les description du Jardin d'Eden sont rares dans les écrits anciens, mais elles se font plus nombreuses et plus exubérantes dans les portions plus récentes du Talmud et des écrits rabbiniques.

Conclusion

Le talmudisme et le rabbinisme reposent sur les piliers suivants :
−    Métaphysique : idéalisme.
−    Ontologie : dualisme.
−    Théologie : théisme.
−    Anthropologie : anthropocentrisme, humanisme.
−    Ethique : libre-arbitre et responsabilité personnelle.
−    Sotériologie : immortalité de l'âme individuelle et vie céleste après le mort.

Le lévitisme originel, le sadducéisme orthodoxe et le kabbalisme mystique reposent sur des piliers radicalement inverse :
−    Métaphysique : réalisme.
−    Ontologie : monisme.
−    Théologie : panenthéisme.
−    Anthropologie : théocentrisme, cosmosophie.
−    Ethique : destin personnel et vocation.
−    Sotériologie : négation radicale de toute immortalité de l'âme individuelle, de toute vie céleste après le mort et de tous les êtres surnaturels (anges, démons ou autres).

Le talmudisme et le rabbinisme, d'une part, le lévitisme et le kabbalisme, d'autre part, sont deux systèmes de pensée juive que tout oppose sauf une seul point essentiel de convergence : la foi en ce que la Torah constitue une voie d'accès éminemment pertinente pour la communion de l'humain avec le Divin.

Marc Halévy, octobre 2015