Pour une politique tripolaire
Le monde humain est tripolaire … comme presque tout. Il y a la personne (l'individu, l'homme unique, seul face à lui-même, dans son intériorité), il y a sa communauté de vie (son monde, ce réseau de relations et d'interactions qui constitue son réel quotidien et qui contient toutes ses connexions familiales, amicales, professionnelles, sociales) et il y a la nation (une fiction abstraite, imaginaire ou idéologique, incarnée par l'Etat et ses institutions, et affublée de divers nom comme le Pays, la Patrie, la Société, etc …).
La personne, la communauté et la nation : tout est dit. La nation est l'espace global de vie. La communauté est le forgeron de valeurs et d'une culture spécifiques et identitaires, qui édicte des modes et des règles de vie. La personne est le centre de sa propre activité de vie, de son propre vécu. Tant que le système reste équitablement tripolaire, l'harmonie est possible entre liberté, mutualité et sécurité. Mais la tendance fatidique est à la monopolarité et conduit le monde humain à devenir inhumain en devenant soit individualiste (c'est-à-dire égoïste), soit communautariste (c'est-à-dire xénophobe), soit étatiste (c'est-à-dire totalitaire). L'inexorable loi des systèmes et processus complexes joue une fois de plus : lorsque la tripolarité s'effondre, c'est toute la dynamique d'accomplissement qui se meurt, et il ne reste plus qu'un monstre fou, tournant autour de lui-même, stérile et suicidaire.
Aussi, la question politique essentielle n'est-elle pas de débattre des meilleures modalités de fonctionnement de l'Etat, mais bien de construire les meilleures modalités d'harmonie tripolaire entre les personnes, les communautés et la nation : la nation étant le milieu global (une logistique de la paix) où se déploient des communautés de vie (un terreau d'enracinement, d'identité et de repères) composées de personnes libres et désireuses de joie de vivre.
Les temps modernes ont, peu à peu, hypertrophié la centralité de l'Etat, fascinés qu'ils furent par le mythe de l'empire romain (et contre le modèle tripolaire des cités grecques). Ils brisèrent l'harmonie féodale qui, elle aussi, était tripolaire.
L'effondrement contemporain de l'ère moderne appelle l'évacuation de toutes les monopolarités et la restauration d'une tripolarité sérieuse, équilibrée, dynamique où le libre accomplissement de chacun doit triompher de la soif de pouvoir de quelques uns.
Le slogan devrait en être : ni égoïsme, ni communautarisme, ni étatisme.
Voilà la question la plus urgente que pose le vivre-ensemble de l'après-modernité : comment restaurer cette tripolarité politique ?
D'abord par le constat qu'en monopolisant tous les pouvoirs, l'Etat, devenant sournoisement totalitaire, est devenu l'ennemi public numéro un d'un vivre-ensemble harmonieux et respectueux de chacun et de tous. Il faut que l'Etat s'effondre, ce qui ne saurait tarder vu son endettement abyssal, son incapacité à assumer les problèmes réels et la perte de toute sa crédibilité. Et sur le cadavre de cet Etat monstrueux mais moribond, construire les modalités d'une dynamique harmonieuse entre les personnes, les communautés de vie et la nation (qui, à mes yeux, est l'Union européenne et rien d'autre).
Ensuite en redonnant aux individus le goût de redevenir des personnes (donc bien plus que des citoyens) qui se réapproprient leur vie, leur destin, leurs potentialités, leur liberté, leur responsabilité vis-à-vis d'eux-mêmes et des autres.
Enfin, en rendant aux communautés de vie le courage et l'audace de réaffirmer fièrement leur propre identité contre l'uniformisation citoyenne et républicaine, contre les sectes religieuses ou idéologiques, contre la banalisation de l'oubli de ce qu'elles sont et d'où elles viennent.
Vaste programme … ambitieux, mais incontournable, inéluctable !
Marc Halévy
Le 22 avril 2015