Le spectre des religiosités
Lorsqu'on parle de foi religieuse, on pense presque toujours le long d'un axe qui part de l'athée matérialiste radical et qui aboutit au croyant fondamentaliste et intraitable.
Ainsi regardé, le phénomène religieux paraît confus car les tendances aux spiritualités non institutionnelles, aux paganismes mystiques, aux courants méditatifs ou yogis, au traditions initiatiques, etc … n'y trouvent pas leur place.
Il faut donc changer de grille d'étude.
Je propose un autre axe de lecture de la religiosité qui, du côté des abscisses négatives, part du besoin irrépressible de certitude dogmatique (intégrisme religieux ou athée, où toutes les réponses sont données et gravées dans l'airain avant même que les questions ne se posent), passe par le zéro de l'indifférence religieuse (il ne s'agit pas d'une réponse athée ou agnostique, mais d'une question qui ne se pose simplement pas), et qui va, du côté des abscisses positives, jusqu'au besoin impérieux d'une quête mystique (quel qu'en soit l'objet, théiste ou non).
Pour le dire autrement : d'un côté, les religiosités de la réponse et, de l'autre côté, les religiosités de la question en passant, au centre, par l'insouciance.
La population humaine, du moins en occident, se répartit sur cet axe selon une gaussienne asymétrique où la masse se trouve au centre, autour de la religiosité zéro, et où l'aile droite (la quête) est beaucoup moins fournie que l'aile gauche (le dogme).
Pour la plupart de nos contemporains, donc, leur existence se cantonne, en majeure partie, autour du point zéro de la religiosité, dans l'indifférence spirituelle et le non-questionnement. De temps à autre, au fil des événements (une crise d'angoisse existentielle, la mort ou la maladie d'un proche, un mauvais coup du sort, une blessure de vie, …), la question métaphysique se réveille et, dans la plupart des cas, la personne se tourne naturellement vers les réponses toutes faites des dogmes de la religion de son enfance ou de la parole d'un mentor vénéré. Dans d'autres cas, plus rares, un éveil spirituel enclenche une démarche de quête vers l'autre bout du spectre de la religiosité, pour une excursion dans les mondes du questionnement. Cette excursion peut n'être que très provisoire, le temps de se requinquer le moral, mais, parfois, elle peut déboucher sur une véritable quête profonde et durable, religieuse, métaphysique, initiatique ou mystique, près ou loin des religions institutionnalisées et de leurs communautés.
Notre époque a vu s'effondrer à peu près toutes les convictions et tous les repères culturels, moraux, idéologiques et religieux. Face à cela, un grand désarroi a enclenché deux types de réactions diamétralement opposés et clairement en phase avec ma grille de lecture : la quête mystique et spirituelle (qu'illustre le succès des "religions" et pratiques asiatiques comme le bouddhisme, le zen, le tao, …) et le repli sur le fondamentalisme le plus dur au nom du "plus pur" (islamismes, revivalismes, évangélismes, …).
Lorsque la masse indifférente ne l'est plus et panique devant un monde devenu fou, cruel, cynique et incompréhensible, le réflexe majoritaire - parce que le plus facile, le plus confortable, le plus "évident" - est un retour pur et dur aux dogmes. Le fondamentalisme islamiste et la radicalisation montante des "opinions publiques" de nos sociétés occidentales en sont des illustrations criantes.
On comprend bien que la seule réponse possible à donner aux dangers réels de la montée des religiosité de la réponse et du dogme, est le développement d'une religiosité de la question et de la quête. Or, cette seule solution possible se heurte au mur du laïcisme ambiant qui, à mot couvert, lutte en réalité pour une irréligiosité généralisée, voire pour un athéisme matérialiste dépassé, aussi radical que militant.
Il faut d'urgence réactiver une réelle et saine spiritualité du questionnement métaphysique, initiatique, mystique et religieux. Même si "Dieu est mort", la question de Dieu ne l'est pas !
Marc Halévy
Le 24/08/2015