La technologie pour quoi faire ?
Les techniques numériques n'échappent pas à la règle : elles ne visent qu'à améliorer les rendements des transformations informationnelles qui aident l'homme soit à penser plus juste et plus vite, soit à économiser sa fatigue au travers de prothèses ou automates sophistiqués.
Mais il ne faut jamais oublier que, thermodynamiquement, l'amélioration des rendements de transformation a un coût matériel et énergétique énorme et implique, donc, une consommation accrue de ressources.
Un exemple simple est celui de l'agriculture : l'indéniable amélioration des rendements à l'hectare est passée par une mécanisation poussée, un usage démentiel d'engrais et pesticides chimiques, une surconsommation d'eau douce et une surexploitation des sols, toutes pratiques ayant des coûts en matières et en énergies infiniment supérieurs aux pratiques traditionnelles et ancestrales.
Regardée d'un point de vue systémique, l'amélioration technologique des rendements de transformation à usage humain accélère nécessairement la dégradation entropique de la planète Terre. Cela résulte de l'application inéluctable du second principe de la thermodynamique qui, en gros, affirme que pour produire quelque chose il faut détruire, alentour, plus que l'on ne produit : tous les rendements de transformation sont toujours inférieur à l'unité puisque, partout et toujours, il y a déchets, pertes, fuites, déperditions, etc …
En un mot, pour vivre mieux, l'humanité se condamne à vivre moins.
Que signifient ce "mieux" et ce "moins" ?
Le mot "moins" est assez clair puisqu'il dit que plus vite les ressources naturelles se raréfieront, plus vite l'humanité devra, à la fois, accepter de vivre en nombre moindre avec une moindre longévité.
Quant au mot "mieux", il vise l'amélioration de la qualité de la vie, bien sûr, mais cela n'éclaire pas le propos car qu'est-ce qu'une vie de qualité ? Quel en est le critère déterminant ? La richesse, l'opulence, l'abondance, la paix, la tranquillité, la joie, le bonheur, le plaisir, l'amour, la gloire, le pouvoir, la liberté , … ? Posséder durablement tout cela, tout à la fois, n'est pas possible puisque ces aspirations "classiques" sont souvent contradictoires entre elles. Alors, que choisir en priorité ?
Les temps modernes, surtout aux 19ème et 20ème siècles, ont tenté de nous convaincre que "vivre mieux" signifiait "consommer plus" : forme vulgarisée de l'utilitarisme du philosophe anglais Hobbes qui prônait le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre possible, … mais sans spécifier ce que "bonheur" voulait dire. Et c'est bien sûr là que le bât blesse ; chacun à sa propre conception du "vivre mieux" et de la "qualité de la vie".
Gagner de l'argent, mais pour en faire quoi? Vivre longtemps, mais pour en faire quoi? Posséder des biens, mais pour en faire quoi ? Chacune de ces questions mène dans une impasse parce que le sens et la valeur de l'homme ne sont pas en l'homme.
La quantité moyenne de ressources consommées par être humain n'a jamais cessé d'augmenter et de s'accélérer avec et malgré le "progrès" technologique.
Le technologie ne fait rien économiser ; au contraire. Elle permet seulement à un nombre toujours croissant d'humains de survivre en raréfiant mieux et plus vite les ressources naturelles non renouvelables.
La technologie aide du mieux qu'elle peut au suicide global de l'humanité ; et elle le fait bien.
La technologie est d'autant plus nécessaire, à démographie croissance, que les ressources se raréfient ; et la technologie accélère encore cette raréfaction.
On peut consommer beaucoup moins de carburant grâce aux véhicules très légers faits de fibres de carbone et d'aluminium, mais la fabrication de ces fibres de carbone et de ces pièces d'aluminium consomme beaucoup plus de ressources que les matériaux anciens, plus lourds, moins rares et plus "faciles" : pour "économiser" un litre de carburant, on en consomme dix.
Marc Halévy, 17 avril 2015.