L'entreprise … entre deux chaises
Toute communauté humaine s'organise autour de trois axes : un moteur politique dont la finalité est d'assurer la qualité des territoires de vie (la paix, les infrastructures), un moteur noétique dont la finalité est d'assurer la qualité des modèles de vie (l'éthique, l'enseignement, la recherche, les valeurs), et un moteur économique dont la finalité est d'assurer la qualité des richesses de vie (les biens, les services, les nourritures matérielles et immatérielles).
Le moteur économique est composé d'un tissu d'entreprises dont la finalité logique est de produire de la bonne richesse de vie, chacune selon ses talents (ses patrimoines immatériels) et ses moyens (ses patrimoines matériels).
Mais qu'est-ce qu'une entreprise ? La réponse à cette question engendre deux points de vue radicalement opposés. En gros, l'entreprise d'hier et l'entreprise de demain.
L'entreprise d'hier …
Elle véhicule le modèle industriel dont les deux piliers sont la prééminence des patrimoines matériels - donc du capital et de la finance - et la subordination - donc l'emploi salarié et la pyramide hiérarchique (l'intelligence y est cantonnée, inféodée au capital).
Le credo de ces entreprises dinosauresques tient en deux slogans : croissance quantitative (devenir gros) et baisse des prix de revient (vendre de la non-qualité en grande quantité).
Ce type d'entreprise est encore largement répandu, surtout dans les "grosses" entreprises, et ce d'autant plus que l'Etat y est actionnaire ou partenaire fort. Elles se moulent assez bien dans l'analyse marxiste de l'opposition caricaturale entre le capital (les actionnaires et financiers - les "patrons") et le travail (les employés salariés - les "prolétaires"). La management de telles entreprises est prié de constituer une "bonne" courroie de transmission entre les exigences du capital et les indolences du travail. Face à cette courroie managériale, se dresse, évidemment, la schizophrénie syndicale qui, idéologiquement, s'oppose au capital, mais qui sait que sans capital, il n'y aura pas de travail.
L'entreprise de demain …
Dans le modèle de l'entreprise d'hier, face au capital et au travail, est jugulé le troisième pilier qui, dans l'entreprise de demain, deviendra de très loin prédominant : l'intelligence. Les intelligences, faudrait-il dire, celles des concepts, des savoirs, des intuitions, des imaginations, des relations, des talents, des virtuosités, des émotions, etc … Bref : les patrimoines immatériels qui ne se fabriquent nulle part et sur lesquels ni le travail, ni la finance n'ont de prise. Car le génie n'est affaire ni d'argent ni de travail.
Ce type d'entreprises émergeantes s'oppose, point par point, aux quatre clés de voûte de l'entreprise obsolète :
- A la prééminence du capital et de la finance, elles opposent la prééminence des talents, des savoir-faire et des virtuosités, donc des patrimoines immatériels (ce n'est plus le talent qui court derrière l'argent, mais bien l'argent qui court derrière le talent) ;
- A la tyrannie de la subordination pyramidale et hiérarchique, elles opposent une organisation souple et agile, en réseau, fondée sur les deux principes de l'autonomie et de la subsidiarité (il n'y a plus de salariés, il n'y a que des associés ou des partenaires, fédérés par un projet commun qui vise à produire de la bonne richesse de vie pour leurs utilisateurs) ;
- Au mythe de la croissance quantitative, elles opposent le small is beautiful de Friedrich Schumacher, et elles prônent la frugalité généralisée et la croissance qualitative c'est-à-dire la promotion de la qualité de vie en interne et à l'externe ;
- A l'obsession des prix bas, elles opposent la formule de la meilleure valeur d'utilité et d'utilisabilité, la qualité qui dure, la nocivité nulle, la responsabilité écologique.
La guerre …
Notre époque vit cette mutation paradigmatique profonde. Les dinosaures (les entreprises d'hier) disparaissent déjà, peu à peu, pendant que les lémuriens (les entreprises de demain) commencent à proliférer, portées par les générations montantes des Y et, surtout, des Z.
Mais les dinosaures ne se laissent pas faire ; elles appellent leurs copains à la rescousse : les Etats et les Banques. Les Etats endettés à mort, n'osent pas s'opposer aux Banques qui font racheter leurs actifs toxiques par les Banques centrales en échange de flux énormes de liquidités monétaires qui seront prêtées gratuitement aux dinosaures pour leur permettre de racheter (donc de tuer) des lémuriens. Mais il est déjà trop tard … !
Marc Halévy, 12 octobre 2016.