Entre existentialisme et essentialisme
L'idée centrale de l'existentialisme est : chacun est ce qu'il fait. Chacun est : essence. Ce qu'il fait : existence. L'essence de chacun est le fruit de son existence. Ce qui permet cet aphorisme, repris par Sartre : l'existence précède l'essence.
Face à l'existentialisme, l'essentialisme postule que dès sa naissance, chacun est porteur d'une identité qui lui est propre et qui déterminera son parcours de vie, plus ou moins strictement. D'après les théologies chrétiennes, par exemple, chacun, au stade du fœtus ou à la naissance, reçoit une âme éternelle qui lui est destinée en propre, et qui prédestine, plus ou moins profondément, son sort (le calvinisme, par exemple, pose une prédestination totale en matière de salut : dès la naissance, les jeux sont faits, en somme).
Mais il faut reformuler plus précisément l'idée centrale existentialiste : ce que chacun est (son identité) à un instant donné est le pur résultat de tout ce qu'il a vécu et fait jusqu'à cet instant (son trajet). Cela confirme l'impermanence du soi et l'évanescence de l'identité personnelle. Mais cela n'infirme en rien l'idée que chacun vit sa vie comme il peut, bien plus que comme il veut.
On comprend donc assez vite que la dualité entre existentialisme et essentialisme, n'est qu'une dialectique menant à une troisième voie.
En effet, la thèse essentialiste "pure" ne peut tenir que dans un contexte théologique fermé (Dieu désigne des âmes immuables préfabriquée, comme on joue aux dés) ou mécaniciste étroit (les lois de la physique ne laissent aucune place pour quelque libre-arbitre que ce soit ; la liberté est une illusion due à l'ignorance des déterminations profondes). Il semble clair qu'une existence humaine (et non humaine) est toujours plus que le résultat d'une quelconque prédestination. D'ailleurs, qui la déterminerait, et pourquoi celle-ci plutôt que celle-là, et selon quel critère ?
En revanche, la thèse existentialiste "pure" fait s'interroger sur la motivation profonde de ce qui est vécu, et fait remarquer que la liberté absolue revendiquée par un Sartre, par exemple, est une absurdité au vu des contraintes et des potentiels réels, propres à chaque existence. Si ce que je suis résulte de ce que je fais, mais si ce que je fais résulte de ce que je vis sans le vouloir, alors l'existentialisme sombre dans l'impasse ou le sophisme.
Il faut donc en conclure que l'existentialisme et l'essentialisme sont deux apories et que la troisième voie doit affirmer que chacun naît avec un destin (la somme de ses possibles à lui, latents, potentiels) et une vocation (la réalisation pleine de son destin), mais aussi avec la liberté potentielle de refuser ce destin ou de mal assumer sa vocation, et avec la possibilité d'enrichir à la fois le destin (les potentiels) et la vocation (le moteur de vie) par émergence de nouveaux possibles d'un niveau plus élevé.
Dans cette perspective, toute vie se construit sur la dialectique entre destin et vocation innés, d'une part, et liberté et enrichissement assumés, d'autre part.
De là, une conclusion s'impose qui rejoindra la thèse existentialiste : chacun est responsable de soi et nul n'est responsable de la vie d'un autre (mais bien parfois, par la violence, de sa mort ou de sa souffrance). Personne ne peut vivre la vie d'un autre à sa place et prendre ou assumer ses propres choix.Marc HALEVY, 2 mai 2016