L'animal asocial
N'est faible que celui qui se croit faible.
N'est faible que celui qui s'accepte comme faible.
Les "faibles" sont grégaires afin de tenter de pallier leurs faiblesses par le nombre. Ils cultivent à cet effet la bonté et la moralité sans lesquelles la vie en troupeau se désagrègerait bien vite.
Les faibles, par nécessité, sont solidaires : ils deviennent, contre nature, des animaux sociaux.
Les "forts" qui sont ceux qui se suffisent à eux-mêmes, haïssent la socialité et cultivent la particularité, la privauté, l'individualité, la personnalité, la liberté. La sécurité grégaire leur est fardeau et entrave. Ils ne se construisent ni par les autres, ni avec les autres, ni pour les autres, ni contre les autres.
Ils sont foncièrement solitaires.
Que les faibles deviennent forts et, du coup, tout édifice social s'effondre.
Or, il est loisible à quiconque de devenir "fort" dès lors que l'on comprend qu'être fort ce n'est pas être "plus fort" qu'un autre, mais bien se suffire à soi indépendamment de tout autre.
Le "fort" est celui qui devient ce qu'il est, celui qui se suffit à lui-même, celui qui ne désire que ce qu'il a et est et devient, celui qui vit pleinement sa propre vie sans regarder dans celle des autres.
La socialité dont nos sociétés ont fait un pilier en la parant des doux noms de solidarité, fraternité, démocratie, n'est au mieux qu'un emplâtre sur une jambe de bois, et au pis qu'une tromperie des assoiffés de pouvoir.
La vraie maladie de l'homme est dans sa faiblesse intérieure qu'il doit apprendre à pallier en se cultivant lui-même et non en puisant chez les autres.
La socialité, la grégarisme, la politesse ne sont que les effets euphémiques ou euphoriques d'un profond parasitisme.
Vivre grégairement, vivre "en société", c'est voler aux autres ce que l'on a pas le courage de bâtir soi-même.
L'homme adulte, dans la force de son âge et de son être, sera asocial.
Asocial et non antisocial.
Sa relation à l'autre sera d'amour et d'amitié exclusivement parce que l'amour et l'amitié donnent sans rien prendre au contraire de toutes les autres relations qui sont d'échange, de troc ou de prédation, et non de gratuité.
Il est faux de suivre Socrate et sa clique platonico-chrétienne et de croire que, par nature, l'homme est un animal social, donc fraternel, moral, solidaire, altruiste et charitable.
Pour preuve, il suffit de voir que les plus riches (en argent ou en sagesse) n'ont de cesse que de se construire un "privé" isolé et fermé, loin des autres, de leurs bruits, de leurs fureurs et de leurs parasitismes.
Au contraire des fourmis, parangons de la socialité naturelle, l'homme a horreur de la promiscuité : il subit les autres, les étrangers, les inconnus, les quidams.
Écoutons Rousseau : "l'homme naît bon, c'est la société qui le corrompt".
Laissez le choix aux gens et ils choisiront massivement un monde où ils pourraient vivre sur leur quant-à-soi entourés de leurs seuls amis à l'exclusion du reste du genre humain. "Laissez-moi mes amis mais débarrassez-moi de tous les autres qui m'emmerdent" : voilà la réalité de la soi-disant socialité foncière de l'humain. "L'enfer, c'est la autres", écrivait Sartre dans un autre contexte.
L'humanité d'aujourd'hui s'apprête à quitter l'enfance et toutes ses faiblesses et débilités. Il n'est donc guère difficile de voir dans l'actuel effritement global des systèmes politiques et sociaux, dans l'écart grandissant entre "société civile" et institutions, les prémisses d'un âge adulte de l'homme enfin suffisamment "fort" pour pouvoir être asocial.
Il faut dénoncer les idéologues et démagogues du "social" : tous, pour des raisons diverses et parfois honteuses, n'ont de cesse que de maintenir l'humanité en état de puérilité, donc de dépendance, prise dans les rets des réseaux d'assistanats subtils ou grossiers qu'ils s'ingénient à nouer sans cesse. Ils idéalisent la socialité et ne rêvent que de société idéale – égalitaire, sécuritaire, grégaire - qu'ils crèvent de ne pouvoir établir, par la violence et la tyrannie s'ils le pouvaient. L'Histoire en foisonne d'exemples, sanglants et terrifiants, abrutissants et avilissants, de la République "philosophique" de Platon au Paradis soviétique de Staline, du Jacobinisme français au Nazisme allemand.
Il faut au contraire libérer l'homme de la socialité et le rendre à lui-même, fort et adulte, libre et autonome. Plutôt que de cultiver nos faiblesses, éradiquons-les nous-mêmes, par nous-mêmes, pour nous-mêmes, sans penser ou croire qu'elles sont irréfragables et qu'elles impliquent nécessairement le pillage policé et légalisé des forces des autres.
L'homme adulte se suffit à lui-même, répétons-le : il n'a pas besoin des autres (ce qui ne l'empêche nullement de se choisir des amitiés et des solidarités), il n'a besoin ni de la Société, ni de l'État, ni des Institutions publiques.
Les idéalistes de la socialité se plaignent de l'actuelle dissolution des "liens sociaux". Il faut, tout au contraire s'en réjouir pleinement : elle est le signe heureux d'un passage progressif à l'âge adulte.
L'individu autonome dans un monde amical ! Tel devrait être le but et le moteur de toute éducation, de tout travail sur soi, de toute ascèse personnelle.
Quête par chacun de son autonomie personnelle !
Mais il faudrait pour cela cultiver le courage en lieu et place de l'actuelle culture de l'abandon.
Il faudrait que la soif de liberté écrase enfin les leurres de la sécurité.
Il faudrait que les éducateurs de nos enfants soient des forces d'âme au lieu d'être ces fonctionnaires syndiqués, frileux et bornés qu'ils sont majoritairement aujourd'hui.
L'idéologie dominante a presque réussi à faire croire aux hommes que leurs faiblesses et les peurs qu'elles suscitent, ne dépendent pas d'eux-mêmes et qu'elles impliquent, nécessairement, le recours à la solidarité sociale.
Comme si un faible plus un faible faisait deux forts ! Un faible plus un faible, cela fait deux hommes libres de combattre leurs faiblesses ; mais un faible plus un faible assistés par un tiers, cela fait deux esclaves et un maître.
La socialité amoindrit l'homme ! Elle l'aliène. Elle lui ôte le ressort de son devenir personnel. Elle le châtre.
La question sous-jacente à tout ceci est : pourquoi l'homme se laisse-t-il ainsi infantiliser ? Pourquoi se laisse-t-il confisquer par une anonyme "société" ce qu'il a de plus précieux : la libre disposition de lui-même pour s'accomplir en plénitude, par lui-même, pour lui-même ?
Réponse …
A force de lui répéter que la vie asociale serait une jungle horrible où l'homme serait un loup pour l'homme, il finit par le croire. C'est mal connaître la jungle et méjuger les loups !
Sans la société, disent les thuriféraires de la socialité, l'homme serait sauvage.
Sauvage ? Aucun animal "sauvage" n'a fabriqué des Auschwitz, des Goulags, des Hiroshima.
Sauvage ? Aucun être sauvage n'est naturellement cruel, inutilement agressif, destructeur par plaisir ou par caprice ou par vice.
Sauvage ? Si sauvage, comme le veut son étymologie, signifie proche des forêts, il est urgent que l'homme devienne sauvage et délaisse ses orgueilleuses chimères de domination de tout pour se rapprocher des "forêts" de cette Nature qu'il saccage et pille et torture depuis trop longtemps.
Signer la fin définitive du politique.
Signer la fin définitive de la mise sous tutelle de l'humanité sous prétexte que quelques aspirants-tyranneaux la décrètent infantile et incapable de se prendre en charge sans eux, sans leur aide, sans leurs lois.
Signer la fin définitive de toutes les dépendances imposées au nom de "la pitié", de "l'amour du prochain", du "devoir d'humanité", de "la morale altruiste".
Signer la fin définitive de tous ces mensonges idéologiques qui abêtissent l'homme et le rendent esclave de ses propres faiblesses.
Marc Halévy, 1 janvier 2005.