Le Divin d'Abraham. Celui d'Isaac. Celui de Jacob.
A de nombreuses reprises et, spécialement, dans les dialogues du livre de l'Exode entre YHWH et Moïse, il est parlé de dieux d'Abraham, de dieux d'Isaac et de dieux de Jacob.
Ainsi, Ex.:3;6 :
"Et Il dira : "[Je suis] Moi-même des dieux de tes pères, des dieux d'Abraham, des dieux d'Isaac et dieux de Jacob' (…)"
Ou, en Ex.:3;15 :
"(…) ainsi, tu diras aux fils d'Israël : [il est] YHWH des dieux des vos pères, des dieux d'Abraham, des dieux d'Isaac et des dieux de Jacob (…)"
On comprend d'abord que, s'il est écrit "de dieux d'Abraham, de dieux d'Isaac et de dieux de Jacob" plutôt que "de dieux d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ", ces dieux des uns et des autres ne sont pas les mêmes, mais qu'ils ont en commun "leur" YHWH qui symbolise le Devenir, le moteur de l'évolution cosmique, la force dynamique qui anime les mondes et les dieux.
Le nom Elohim, utilisé ici et traduit par "dieux" (au pluriel car Elohim est le pluriel masculin de Eloah qui est le féminin - "déité" ou "déesse" - de El qui signifie "dieu", mais aussi "à, vers, pour" - avec l'idée d'une destination - et "ne … pas" impératif - avec l'idée d'une interdiction).
Ainsi, YHWH Elohim pourrait se traduire, littérairement, par : "Le Devenir des Destins" …
La forme utilisée dans les textes mentionnés est ALHY (Elohi) qui peut être soit le mot Elohim avec génitif ("dieux de"), soit l'adjectif "divin". Ce dernier sens est préférable et donne meilleure consistance aux extraits ci-dessus. Cela donne, alors :
"Et Il dira : " Moi-même [Je suis] [le] divin de tes pères, [le] divin d'Abraham, [le] divin d'Isaac et le divin de Jacob' (…)"
Et :
"(…) ainsi, tu diras aux fils d'Israël : YHWH [est] [le] divin de vos pères, [le] divin d'Abraham, [le] divin d'Isaac et [le] divin de Jacob (…)".
Ce qui intrigue et questionne, c'est l'idée qu'il y ait trois formes de Divin, celle d'Abraham, celle d'Isaac et celle de Jacob.
Quel est le Divin d'Abraham ? Celui d'Isaac ? Et celui de Jacob ? C'est le livre de la Genèse qui peut nous aider à répondre …
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Avec Malki-Tzédèq ("Mon roi est juste"), le Divin se manifeste à Abraham (Gen.:14;18) comme El-Elyon ("dieu d'en-haut"), mais il se révèle à lui (Gen.:17:1) autrement :
"(…) et Il lui dira : 'Moi, [je suis] El Shaday (…)"
El-Shaday … littéralement : "dieu démonique" au sens grec de daïmon qui signifie "esprit, génie". Sachant, de plus, que shadéh renvoie à l'idée de campagne, de champ, etc …, il semble clair que El-Shaday renvoie à l'animisme, au dieu des esprits, au dieu Pan des grecs, au dieu de la Nature.
Et son dieu conclut avec lui le pacte d'Alliance symbolisé par la circoncision (le pacte du sang et du sexe). Ensuite, ce dieu introduit la lettre Hé dans son nom à lui qui, de Abram, devient Abraham (Gen.:17:5) et dans le nom de sa femme (Gen.:17;15) qui, de Saray ("ma princesse"), devient Sarah ("princesse").
La lettre Hé symbolise le Réel car elle signifie "voici, ceci" : ce qui est là.
Abraham est le croyant.
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Dieu ne parle que deux fois à Isaac mais il lui parle toujours en référence à son père Abraham et jamais pour lui-même. YHWH se présente à chaque fois comme "le dieu d'Abraham, son père", comme si lui, Isaac, n'existait pas. Et Isaac, lui, ne parle pas à Dieu, ne lui dit rien. Ils s'ignorent donc réciproquement, comme si l'étrange épreuve du sacrifice avait cassé - ou transformé - la relation entre eux.
Isaac a sans doute mieux à faire … Car le texte met en avant l'occupation prioritaire d'Isaac : creuser des puits et trouver des sources. Isaac opère sous le signe constant de l'Eau ! L'Eau … double symbole de Vie puisque l'eau est l'élément vital de la Vie et que la Vie s'écoule comme l'eau tant pour chacun que comme sève féconde de l'évolution des mondes.
Si l'on veut bien regarder l'Eau comme le symbole de toute purification, notamment, par la "mer d'airain" de la purification des lévites sur les parvis sacré du saint Tabernacle, il faut prendre le texte avec attention.
Il y est fait mention de quatre puits : 'Eshèq, Shithnah, Ro'hobot et Shib'ah.
'Eshèq … la dispute, la querelle, l'oppression.
Shithnah … l'accusation, la diffamation (de Shathan : le tentateur et l'accusateur)
Ro'hobot … la largeur, la largesse, l'étendue, l'étalage (la corruption).
Shib'ah … la captivité, l'emprisonnement, l'enfermement.
Est-il utile de faire remarquer que ces quatre vices sont les cancers de l'humanité qu'Isaac veille à soigner avec son Eau mystique ?
Agression, diffamation, corruption, enfermement.
La première tirade de YHWH à Isaac, dit ceci (Gen.:26;2-5) :
"(…)Tu ne descendras pas en Mitzraïm, établis-toi dans le territoire que Je te dis. Demeure dans ce territoire et J'adviendrai avec toi et Je te bénirai car pour toi et pour ta semence, Je donnerai avec tout ce territoire-là et J'aurai vengé avec la satiété dont Je me serai rassasié pour Abraham ton père. Et J'aurai fait multiplier avec ta semence comme les astres du ciel et J'aurai donné pour ta semence avec tout ce territoire-là et, dans ta semence, toutes les nations de la Terre la feront bénir".
Isaac ne répond rien.
Le seconde (Gen.:26;24) :
"(…) Moi-même [Je suis] le Divin d'Abraham ton père, tu ne craindras pas car, avec toi,[Je suis] Moi-même, et Je t'aurai béni, et j'aurai fait multiplié avec ta semence par récolte d'Abraham mon serviteur."
Isaac ne répond toujours pas. En gros, il est suggéré qu'Isaac encaisse les bénéfice de la dévotion et de l'obéissance de son père Abraham … il est "fils de".
Cependant, mine de rien, le Divin dit cette chose extraordinaire à Isaac : "Avec toi, je suis Moi-même" ! Et Il surenchérit : "Tu ne craindras pas", alors que partout ailleurs dans la Torah, la crainte de Dieu est le signe d'une grande dévotion (craindre, c'est vénérer).
Isaac, par son sacrifice inouï, a atteint une sagesse ésotérique et spirituelle bien au-delà et bien au-dessus de la religion exotérique du peuple. Les prescriptions et ordonnances vulgaires ne le concernent plus : il n'a pas à craindre Dieu puisque Dieu lui est connu (gnose) tel qu'en Lui-même, dans toute sa majesté nue
Isaac est le mystique.
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Dans un songe (Gen.:31;13), le Divin se manifeste à Jacob est disant : "Moi-même, [je suis] le dieu de la maison de dieu (…)".Ce dieu est donc celui du Tabernacle et du Temple. Le dieu de la prêtrise. Le dieu sacerdotal qui sera celui posé au centre du lévitisme postexilique, au cœur de la religion de Lévy, troisième fils de Jacob.
D'ailleurs, Jacob sera surnommé Israël (Gen.:) après sa lutte nocturne contre "une personne" (Ish), le long de la rivière Yaboq … et, d'Israël, il sera dit : "Et vous, vous deviendrez pour moi votre pressoir de prêtres [Cohanim] et une nation sainte (…)" (Ex.:19;6).
Jacob-Israël est le théologien.
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Trois visions du Divin. Celle du croyant, celle du mystique et celle du théologien. Celle du cœur, celle de l'âme et celle de l'esprit.
Abram : le "père élevé" … Ytz'haq : "celui qui rit" … Ya'aqob : celui qui talonne … Ce sont les étymologies hébraïques de leur nom.
Mais cette triade est tout incluse dans le Nom tétragrammique fondamental : YHWH. Ces trois aperceptions du Divin, s'adresse à la même déité : YHWH, le dieu tutélaire de la Maison d'Israël, lui-même avatar spécifique du Un indicible et ineffable, que la Kabbale appelle Eyn-Sof …
L'expression biblique YHWH Elohim, pourrait bien donner : "le Devenir des Avatars divins".
Avec les trois expressions fondamentales du Divin : celle dogmatique du Croyant, celle métaphysique du Théologien et celle extatique du Mystique. Celle du Juge de l'acte présent, celle du Prêtre de la tradition passée et celle du Prophète de la vision future.
Marc Halévy
Le 05/05/2016
Yom ha-Shoah 5776