Vas vers toi-même
Le premier verset du douzième chapitre du livre de la Genèse présente ce qui est, pour moi, l'expression majeure de la grande mitzwah dont les six-cent-treize mitzwot ne font que découler :
Et YHWH dira à Abram :
"Va vers toi (Lèkh lèkha) hors de ton territoire et hors de ta filiation
et hors de la maison de ton père, vers le territoire où je te verrai."
Le territoire : l'espace qui entoure chacun , son ancrage au monde, son monde, ce petit monde fait de toutes ces connexions, ces relations, ces fils ténus qui, du centre de soi, relient aux apparences autour de soi.
La filiation : le temps qui s'est accumulé en chacun, sa mémoire, un peu consciente, mais surtout inconsciente, son enracinement dans la durée, dans le phylum dont il n'est qu'un éphémère surgeon.
La maison du père : la culture acquise, les valeurs, les grilles de lectures, les habitudes et les rites.
Le monde. La mémoire. La culture.
Voilà ce qu'il faut quitter. Voilà ce dont il faut sortir. Voilà d'où il faut partir.
Quitte, sors, pars ... que l'hébreu exprime par une seule et même syllabe : Tzé. Voilà la grande mitzwah. Quitter toute extériorité afin de réaliser l'intériorité. Tels sont les deux mouvements : Tzé comme retrait de l'extériorité et Lèkh comme élan vers l'intériorité.
L'un ne va pas sans l'autre. L'autre ne peut aller sans l'un. Sinon l'on se déchire, on s'écartèle, on se démembre : entrer sans sortir ... sortir sans entrer ... Janus deviendrait fou s'il n'était pas bifrons, doté de deux visages opposés.
Mais cette sortie suivie de cette entrée, n'est pas une fin en soi. Il s'agit "d'aller vers soi-même". Pindare avait dit : "Deviens qui tu es" et Nietzsche avait reformulé, mieux, plus profond : "Deviens ce que tu es et fais ce que toi seul peux faire".
Après avoir obtempérer au Tzé, il faut oser le Lèkh lèkha.
Marc HALEVY, 26 février 2016.